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Moitié gauche: un rond blanc sur une texture bleue. Moitié droite: l’affiche du film. Le rugbyman rentre de face sur le terrain en tenant 2 enfants par les mains

 » Faire rimer sexualité & cécité « 

Monia Hayot-Richardson, sexologue et psychothérapeute aveugle

Elle a vu. Puis elle n’a plus vu. Après avoir retrouvé son chemin intérieur, elle aide encore et différemment les autres à saisir le leur. Monia Hayot-Richardson est sexologue et psychothérapeute. Elle n’accepte plus de nouveau patient mais témoigne généreusement pour le CTEB de son expérience autour de la question : comment sexualité et cécité riment-ils ensemble ?

L’histoire d’une femme-lagon

La photo portrait de Monia Hayot-Richardson« J’ai un lagon bleu au fond des yeux …Une vie toute colorée à l’intérieur ». Je m’appelle Monia et j’ai eu un accident de la voie publique à 30 ans. Il m’a occasionné un traumatisme crânien. Outre les fractures du crâne, les dégâts auditifs et cognitifs, mes aires visuelles ont été touchées . De « voyante », je suis devenue « borgne ». Cela a continué à dégénérer et j’ai perdu la vision restante… 10 ans après ! Les médecins de l’hôpital parisien, avec leur diplomatie habituelle, m’ont annoncé une cécité corticale bilatérale définitive. Lorsque j’ai perdu complètement la lumière, je me suis enfouie en moi, puis je me suis demandé si je voulais vivre ou mourir… J’ai choisi la vie et ne suis jamais revenue sur cette décision. Ce choix pris, il fallait « faire avec » … Ce qui revient à accepter de « faire sans » ! Par exemple, 2 grandes pertes ont fait jour en moi : les livres et la voiture. Chacune étant une source de connaissance et de liberté pour moi. Puisque les lumières et les couleurs étaient bien présentes en moi, je devais me débrouiller avec cela ! Mes perceptions se sont modifiées et leur stabilisation a demandé 3 ans…

– Il me fallait sortir du NOIR.

Après l’annonce de « la lumière ne reviendra pas », il y a eu l’apprentissage d’une nouvelle locomotion avec la canne blanche, d’une nouvelle lecture avec le braille et d’un nouveau partenaire avec un chien guide. Il a fallu se battre donc ! J’ai eu du mal à sortir de chez moi et à prendre une canne blanche, je l’avoue ! J’ai cependant appris le braille dès la mal-voyance. Plus tard, devenue aveugle, sa lecture est devenue complètement différente pour moi au niveau du toucher. Preuve de l’évolution de nos sens et de nos perceptions. Personnellement, j’ai gardé mon écriture « en noir » car elle me permet de faire travailler ma mémoire qui était très visuelle. Je récupère le texte que je mets en page pour m’en souvenir. J’ai toujours beaucoup lu. J’ai donc aussi fait appel aux donneurs de voix pour écouter des livres. Les livres à ma disposition m’ont vite paru bien littéraires, sans originalité ni érotisme. Croyait-on alors que la littérature érotique était inutile à l’aveugle ? Son accès pour moi s’est fait par les livres audios et l’écoute de films en audio-description. Ces personnes qui donnent leur voix ne s’imaginent pas les impacts et bienfaits, l’utilité qu’elles apportent. Je lis de nouveau énormément car l’offre de lecture s’est bien développée en braille comme en audio.

– S’adapter intérieurement …aussi !

Heureusement que j’avais vécu 10 ans en Polynésie jusqu’en 1995. La philosophie de vie tahitienne m’a aidé à rebondir . « Tu vois pas du tout ? Tu as sans doute quelque chose à faire avec cela ! » J’ai effectué une rééducation cognitive corporelle et mentale, appris à accepter mon état, même si ce n’est pas encore complètement « digéré ». Pour cela il a fallu que je me rencontre à nouveau, que je redevienne accessible à moi-même… pour l’être aux autres. Dans les difficultés à relever, sentir le regard des autres alors qu’ils ne parlent qu’à mon accompagnateur et non à moi est un exemple. Je me disais « je ne suis pas sourde vous savez ! ». Et je fuyais. Maintenant je crois que c’est à la personne aveugle ou mal-voyante d’aller vers les autres. Les personnes sont trop mal à l’aise face au handicap pour qu’ils nous abordent . Une fois mis en confiance, là ils re-proposent leur aide (même si, comme dans l’exemple de traverser une rue, on ne demande parfois rien). Sans que moi je n’intervienne, sans que je ne parle… comment un voyant peut-il faire alors pour aborder une personne en situation de handicap ?

L’écoute de ses besoins

– Cela ne m’allait pas, cela ne me suffisait pas.

Je ne voulais pas être assistée. Je voulais travailler. J’avais déjà un cursus en psychologie et sophrologie et la relation d’aide était déjà une volonté. J’ai eu envie de reprendre mes études de psychologie clinique jusqu’au doctorat. Puis de continuer avec un Diplôme Universitaire de sexologie.

– Résilience.

J’ai donc décidé de devenir psychologue et sexologue car ces disciplines sont la vie ! On m’a gentiment dit : « tu ne pourras pas ! ». Et pourtant … j’ai posé ma candidature et j’ai été acceptée à l’université de Paris ! Ça n’a pas été simple d’avoir accès aux documents et aux archives. Mais le personnel des bibliothèques et le numérique aident beaucoup. J’ai dû et j’ai pu chercher, écouter, rédiger, rester dans la vie. J’ai donc créé un cabinet en libérale. Dès lors je reprenais une place « inter-active ».

– L’étude des sens.

L’enseignement proposé à l’université s’appuyait parfois sur des tests à l’aveugle pour apprécier les effluves et les frôlements, faire l’expérience de sa propre sensualité… En tant qu’aveugle, j’ai beaucoup ri. Et je n’ai pas manqué de signaler ce que je percevais bien avant les autres : la chaleur corporelle qui monte, des odeurs qui se déploient, des voix qui se modulent … Chacun avait son univers mais ensemble c’était bien. Mais on me parlait encore sans me regarder, juste comme ça. Je m’apercevais que je n’étais même plus une femme « sexuée » aux yeux des autres. J’ai réfléchi à comment cela m’impactait, à mon besoin de séduire. Avant, j’étais libre sur ce thème-là. Mais comment faire puisque je ne pouvais pas me voir ? J’ai profité de mes études pour écrire sur ce thème : être aveugle ne veut pas dire n’être plus sexualisé. On utilise seulement d’autres codes et d’autres sens dans l’approche de l’autre.

Sexualité et cécité

– L’intimité : « ça ne se parle pas et ça ne se voit pas ! »

En tant que sexologue je reçois des femmes qui ne connaissent pas leur corps ni leur intimité. C’est une grande difficulté quand on est aveugle. Il y a parfois également de la part des hommes une grande méconnaissance du corps féminin. Il peut en résulter une forme de brusquerie dans l’approche des femmes et dans les demandes qui leur sont faites. Ces expériences négatives instaurent alors un recul face à la sexualité et plus généralement face à l’érotisme. Réciproquement, les femmes ne connaissent pas l’appareil génital masculin. Le toucher, le sentir et l’embrasser paraît impossible. Face à la fellation j’entends « ça ne se fait pas ». Si l’homme insiste, une forme d’agression peut-être ressentie et perdurer sur le long terme. Le jour où elles tombent réellement amoureuses, ces femmes sont poussées par leur blocage à vivre une relation platonique. C’est à ce moment-là seulement qu’elles éprouvent le besoin de venir consulter et d’oser en parler. Il faut se connaitre, s’accepter et se plaire avant de pouvoir plaire aux autres. C’est essentiel de se séduire pour séduire, d’érotiser les choses et la vie. Avant d’en venir à la sexualité génitale, avant d’expliquer le «coït », il y a des tas de messages à faire passer. La sexualité est comme un éventail où le fantasme, la sensualité, l’érotisme, le toucher, la voix et l’approche de l’autre sont à déployer.

– Prendre conscience de sa sensualité.

Que connait-on de soi vraiment et a-t-on conscience de sa sensualité ? Comment fait-on pour aborder l’autre naturellement puis sexuellement ? Dès le plus jeune âge l’enfant se touche, « naturellement », sans peur. Si c’est interdit par les adultes il ne saura plus comment exprimer les envies qu’il ressent. Si on lui apprend comment on fait, avec une notion de pudeur essentielle, il trouvera dans cette liberté respectueuse la possibilité de se découvrir et donc indirectement le plaisir sans peur d’approcher l’autre, qui a aussi un corps. À nous de redécouvrir cette liberté.

– L’érotisme : un question de bon sens.

Pour les personnes aveugles et/ou qui peuvent moins bien entendre, le toucher et l’odorat doivent porter l’érotisme. Le goût est important et le sens kinesthésique (la sensation du mouvement du corps / voir note détaillée en fin d’article) développe le ressenti et le sens de ce qui nous entoure. Une grande salle renvoie les ondes sonores de la parole différemment d’une petite. Si quelqu’un s’approche, son déplacement d’air fait qu’on le sait. Puis son odeur nous renseigne sur sa personnalité. La main tendue fait le lien et poursuit la découverte sensitive et sensuelle de l’autre. Pour l’intime, la peau est tout un univers à découvrir. Par exemple, faire un peau à peau avec un bébé est essentiel, n’est-ce pas ? Ce n’est pas érotique, c’est éveiller le sensoriel. Cela s’apprend par le vécu, par des ateliers de découverte ou d’autres vecteurs comme la pleine conscience et la concentration. Lorsque l’on perd la vue, nos autres sens sont exacerbés. Nos sens agissent différemment. Servez-vous-en !

– Le couple mixte voyant / non voyant.

Lors de mes études, mon mémoire portait sur les incidences de la cécité dans un couple mixte au niveau de la sexualité. On perd la vue et on n’est plus la même personne. Beaucoup pensent être un poids pour l’autre, qui n’a pas choisi cela. On s’écarte l’un de l’autre, chacun dans ses peurs. Les peurs du handicap mais sous deux prismes différents. Il y a beaucoup de concessions et de compréhensions à mettre en place dans un couple mixte. Personnellement, ma sexualité dans mon couple voyant / non-voyant a été bouleversée et complexe après la cécité. Les signaux visuels auxquels on est habitué n’existent plus. Et la possibilité d’en envoyer sans retour est difficile à vivre, provoquant un vide, une absence de sens. Si le couple a pratiqué ses fantasmes avant c’est mieux. Mais pour nombres d’entre eux, ils ne veulent plus rien dire. Il faut repartir en solitaire et les réinventer puis les passer à l’autre. Et là non plus ce n’est pas simple !

La cécité contre la peur du jugement.

Lors de mes consultations, j’écoute et accueille les souffrances des autres, leurs douleurs et leurs méconnaissances de la sexualité. J’ai appris par mes patients qu’il est plus facile d’avoir une thérapeute aveugle car elle « juge moins et n’a pas d’a priori ». Ce qui « permet de plus facilement confier ses secrets et son intimité ». Je n’en avais pas conscience avant. Très vite, après quelques séances, ces même patients me disaient même que je voyais mieux qu’eux et d’une autre façon. Cela montre le poids du visuel sur notre propre jugement. Son absence peut également libérer dans le domaine sexuel comme dans d’autres secteurs de la vie.

L’érotisme, ça commence par la pensée.

On peut l’observer dans une période comme celle que nous vivons actuellement. Quand on est confiné, que l’on ne voit plus les autres, le silence peut devenir érotique, l’absence aussi, le vent une sensation charnelle consciente. Comme toute chose à laquelle on attribue un désir et un fantasme consciemment. L’important est d’en parler, de l’exprimer, de le communiquer à son partenaire. Et comment se fait-il que les voyants fassent l’amour dans le noir? Pourquoi fermons-nous les yeux en écoutant une belle musique ou si quelque chose nous touche ? Même moi je le fais ! Cela a été une de mes interrogations majeures dans l’approche de l’érotisme et de la sensualité. Les personnes ne savaient pas me répondre …

– Le fantasme.

Il faut prendre en compte si une personne est aveugle de naissance ou tardif, si la cécité est survenue de manière accidentelle ou non. Toute personne de ce fait est unique et c’est ce qui compte ! Comment « saisir » un fantasme si on n’a jamais vu ? Saisir un fantasme c’est se donner l’autorisation de sa pensée, sous condition qu’elle fasse réagir agréablement le corps. De cette excitation naît un désir. Dès lors qu’on le réalise ce n’est plus un fantasme. Il n’est pas à comprendre, c’est physiologique. Faut-il le communiquer ? Oui et non. Il peut nourrir à son tour la pensée et rester dans son jardin secret. Le partager doit mettre en avant les choses réalisables et non condamnables comme s’exhiber publiquement par exemple. En cas de perte de la vision, on peut « transmuter » ses fantasmes crées depuis longtemps. Les garçons ont l’avantage d’avoir souvent le même fantasme pour atteindre l’érection et l’éjaculation. Pour tous, l’important est l’apprentissage du respect de l’autre et la connaissance de soi.

Approcher l’autre.

On parle beaucoup de l’accessibilité des choses aux non-voyants. Être « accessible » ou le devenir commence par un rapport à soi. Il est lié à la volonté de faire soi-même, d’élever son degrés d’autonomie. Refuser de se faire couper sa viande, ne plus toujours donner le bras à quelqu’un, étiqueter ses vêtements, choisir des tissus soyeux et engageants, suivre un cours de maquillage, voire de relooking avec des professionnels, … tous ces exemples reviennent à aller chercher l’accessibilité pour soi, à soi. C’est à la personne de le faire et de se plaire comme elle est. On détermine cette accessibilité soi-même.

Faites vous évoluer

Réapprendre ensemble, comme on veut

Il y a beaucoup de concessions et de compréhensions à mettre en place dans un couple et lors d’un accident, près de 70% d’entre eux ne restent pas ensemble. Cela a été mon cas. J’ai divorcé et me suis remariée à un homme plus jeune que moi de 17 ans, que je n’ai jamais vu. Que du bonheur ! J’ai eu l’opportunité de voir, alors je peux me l’imaginer à ma façon. Pour lui je ne suis pas aveugle, car j’ai voulu être la moins aveugle possible. Il oublie parfois que je ne vois pas et je suis à ses yeux une personnalité originale et vivante. Cela me demande une volonté, une adaptation, une discipline forte et constante. Mais que c’est bien quand il me dit : « tu as vu là ? » Alors je souris … Il a eu à vivre avec moi un cancer que l’on m’a diagnostiqué et opéré mais qui reste toujours actif. Je me bats et j’essaie de casser les pinces de ce « crabe » qui m’enlèverait encore de ma personnalité et de ma vie de femme. Nous avons la force et la joie d’être vivants.

En attendant, aimez-vous et prenez soin de vous ! Bonnes vacances !

Monia Hayot-Richardson

Liens et ressources :

association HV2 HandivoileAvec l’association HV2 handi-voile de Saint Raphael, Monia Richardson et son mari François Suarez, éducateur spécialisé, licencié en psychologie sociale, diplômé en BP JEPS voile ont souhaité rendre accessible au plus grand nombre la pratique de la voile. Accessible à tous, naviguer sur un bateau est aujourd’hui devenu un outil thérapeutique très utile pour la psychologue. Quels que soit le handicap, les difficultés psychologiques ou physiques (obésité, anorexie, troubles du comportement, mal-être…) et dès le plus jeune âge, la voile ouvre de nouveaux horizons : retrouver des sensations de bien-être et de liberté, découvrir des éléments, développer l’autonomie, vaincre ses peurs, retrouver des repères sensoriels, sortir de l’isolement et de sa condition de personne handicapée, reprendre confiance en soi… Ils proposent une approche personnalisée de la voile. Avec des bateaux adaptés en fonction du handicap, des besoins et des envies de chacun, la pratique de la voile permet d’allier travail thérapeutique et plaisir.

site : https://hv2handivoile.com/

email: hv2handivoile@gmail.com

tel: 06 33 88 64 28

Vidéo de présentation : https://youtu.be/eTjVRq6B2JI

 

Le sens kinesthésique.

De combien de sens pouvons-nous disposer ? La vue, l’odorat, le goût, l’ouïe, le sens du toucher…  et celui du mouvement, ou sens kinesthésique ! Le sixième de nos sens, très concret et non des moindre. Le sens kinesthésique n’a rien à voir avec un autre « sixième sens », plus médiatisé mais tout à fait abstrait. Pour que les voyants comprennent, tentez cette petite expérience : fermez les yeux, pliez et allongez plusieurs fois votre coude droit. Savez-vous à chaque instant du mouvement où se trouve votre avant-bras droit ? Probablement que oui. Mais comment faites-vous pour le savoir ? Pas par la vue, vos yeux étant fermés. Pas non plus par votre sens du toucher sauf si votre avant-bras frôle des objets ? Pas par votre odorat à moins fque vous teniez en main quelque chose à l’odeur caractéristique. Mais votre main est vide et vous savez très précisément où elle est, ainsi que si votre avant-bras est horizontal ou vertical. Vous le savez grâce à votre sens kinesthésique, dont les capteurs sensoriels sont répartis à l’intérieur de votre corps. Par exemple, nos muscles contiennent des fuseaux neuro-musculaires qui nous informent sur l’état d’allongement de nos muscles, des organes de Golgi, situés aux jonctions musculo-tendineuses, sensibles à la tension des tendons, etc.

 

 

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