L’Afrique a besoin de braille !
Don de braille du CTEB et reportage au Tchad
Un reportage pour partager avec ceux de ma culture, vous tous, ce que les autres souffrent là-bas …
Gentiment, doucement, avec honneur.
Ce que les autres souffrent là-bas et ce temps qui leur passe dessus …
Gentiment, doucement, avec lenteur.
Être un enfant, c’est être l’annonce de ce que l’on sera demain. Un journal intime et ouvert, où les adultes rêvent d’écrire leurs lignes alors qu’il ne contient en fait aucune page blanche. Un enfant c’est une créature déjà équilibrée, faite de fragilité et de force. Fragile à en mourir, sans autonomie et dépendante des adultes. Forte à tout survivre, en expert candide de l’adaptation et de l’espoir.
Vous avez été un enfant. Êtes-vous parent ? Êtes-vous en situation de handicap visuel ? Ou êtes-vous les deux ? Vous comprenez la difficulté d’être un enfant. Vous comprenez la difficulté d’être un enfant handicapé. Qu’est-ce que cela changerait d’être un enfant handicapé en Afrique sahélienne ? Permettez-moi de modestement vous en dévoiler certains contours.
Je suis blanc, voyant et je travaille au Centre de Transcription et d’Edition en Braille de Toulouse (CTEB). J’ai grandi en Afrique sahélienne. J’y ai appris à lire, à écrire, à aimer. Pour tout le reste, c’est à la France que je dis « merci ! ».
Il y a un an, nous vous faisions découvrir le Centre de Ressources des Jeunes Aveugles (CRJA) de N’Djamena. Le CRJA est entièrement dévoué à l’accueil, à la formation et à la promotion des jeunes déficients visuels du Tchad. 4 lettres pour chacun, deux structures trentenaires, le même but, deux réalités pourtant. Nous leur confions un premier don de livres en braille en septembre 2021. Retrouvez l’article ici : https://www.cteb.fr/don-de-livres-en-braille-vers-le-tchad/
Droits, soudés, combattifs, attentifs, ouverts, les encadrants comme les professeurs et les enfants du CRJA sont de confiance et pleinement à leur place. Mais la gentillesse de leurs sourires, l’humilité de leurs mots, leurs photos gratifiantes envoyées et mises en scène me cachent des choses que l’enfant en moi devine. Alors je pars. Je prends l’avion. Je vais les voir. Je connais l’Afrique, je connais les enfants, je connais le handicap visuel, mais je ne connais pas les trois ensemble. Je suis triste, je me doute, … Comment font-ils ?
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Le 21 mai 2022, l’avion atterri. 47°C à l’ombre. Je pousse la porte du CRJA.
Dans un bâtiment fonctionnel et discret, une cour intérieure sans ombre relie avec son sol de sable fin 1 bibliothèque braille, 5 petites salles de cour, un petit bureau, un dortoir et des sanitaires en mauvais état. Une pompe à eau manuelle y trône. On y voit aussi de magnifiques jarres en terre cuite, quelques bancs en bois et chaises tordues qui dévoilent leurs pointes aux fessiers qui veulent s’y asseoir trop vite. Ça évite la chute ! Construit à l’initiative d’un prêtre français il y a 30 ans, le Centre de Ressources des Jeunes Aveugles me donne l’impression de rentrer au domicile d’une famille nombreuse, volontairement abritée des regards et des dangers. L’intimité du groupe est tout de suite perceptible. Ici on vit dehors, ici on vit ensemble !
Derrière la modestie et le calme de Martin Lappel, son directeur, le CRJA cache en fait bien plus qu’une simple école de braille pour enfants.
Cours de braille au centre le matin, repas collectif à midi dans la cour du bâtiment, déplacement en minibus l’après-midi pour retrouver l’école classique et s’inclure aux autres enfants, retour au centre le soir, repas et vie de « famille » en dortoir pour les internes. Une semaine-type pleine de challenges et de concentration dans un N’Djamena brûlant, aux mille dangers pour celui qui ne voit pas. Mettez-vous à la place de votre enfant. Comment ferait-il pour grandir loin de vous, aveugle et dans une grande ville où chacun lutte pour exister ?
Dans des pays où la survie est quotidienne et réflexe, où la misère se fige derrière des sourires comme pour ne pas être vue, les mentalités sur le handicap tardent à évoluer ?
Un enfant qui perd la vue, c’est un enfant « inutile », qui ne peut pas rapporter d’argent. Chaque être est dans le besoin. Handicapé ou pas, chacun se bat pour subsister. La dureté de la vie est inclusive, elle n’oublie personne. Et si par bonheur des parents confiants et dévoués permettaient finalement à leur enfant aveugle d’échapper à une enfance teintée de rejet, d’abandon, d’errance, emmailloté dans le sentiment d’être moins que les autres, alors… alors c’est l’absence de moyen financier, de prise en charge par l’état, de structure adaptée qui les condamneraient à la passivité et à l’absence. Une canne blanche ? Un chien-guide ? Une plage braille ? Un ordinateur ? Un cours de locomotion ? Un livre en braille ? N’y pensez-pas…
Les conditions du Tchad et de beaucoup d’autres.
- L’Afrique subsaharienne concentre la moitié des personnes les plus démunies.
La misère a largement reculé dans le monde ces dernières années : les taux de pauvreté ont en effet diminué de moitié depuis 2000. Mais derrière cette bonne nouvelle se cachent des inégalités de plus en plus criantes : tandis que la croissance économique a largement profité aux pays d’Asie, la pauvreté s’est aggravée en Afrique. Si le taux d’extrême pauvreté y est passé de 54 % à 41 % en 25 ans, le nombre de personnes vivant avec moins d’1,90 dollar a considérablement augmenté, passant de 278 à 400 millions d’Africains, en raison de la forte augmentation de la population. Ainsi, en 2015, la moitié des plus pauvres de la planète vivaient en Afrique subsaharienne. L’instabilité de certains états ainsi que la multiplicité des conflits en Afrique et au Moyen-Orient ont particulièrement contribué à renforcer l’extrême pauvreté dans cette zone du globe.
- Des conditions de vie déplorables.
Que signifie vivre avec moins d’1,90 dollar par jour ? D’abord, la difficulté à subvenir à ses besoins essentiels : se nourrir, se loger, se vêtir. Un dénuement extrême qui revêt d’autres facettes parmi lesquelles la difficulté d’accès à l’eau potable, à l’électricité, à l’école, à des toilettes, à l’assainissement,, aux soins, ou encore à l’information.
- La pauvreté est enfin synonyme d’exclusion, d’impossibilité à s’exprimer et à prendre part à la vie de la cité.
Source : https://breakpoverty.com/les-chiffres-de-la-pauvrete-dans-le-monde/
Ce n’est pas qu’un problème d’argent.
C’est aussi un problème culturel, de croyances, de compétences, de démocratie, de climat, de répartition des richesses, de technologies, de destin peut-être. Je sais, en chacun de nous se joue ou s’est joué des drames et des injustices. C’est l’école de la vie. Alors justement, soyons compatissants et solidaires puisque la souffrance et le bonheur nous unissent ?
Le témoignage d’un aveugle du CRJA.
– Martin Lappel : « Je suis arrivé au CRJA à 4 ans. Mes parents habitaient à 400 km au Sud de N’Djamena, dans un village de brousse appelé Keubeu. Je suis devenu aveugle en quelques années seulement suite à une varicelle non soignée. Papa entend parler du Centre par son frère qui habite la capitale. Après mon arrivée au centre, je le reverrais 5 ans plus tard. Ma mère, je la retrouverais 20 ans plus tard, en 2010, quand je revins dans mon village natal à l’âge adulte. Mes parents auront divorcé entre temps. Ma mère se remariera et aura 14 autres enfants.
Je suis resté 14 ans au CRJA en tant qu’élève, jusqu’au bac. J’ai eu la chance de recevoir ensuite une bourse d’excellence Louis Braille de l’association AVH pour mes bonnes notes (3200€ /an sur 2 ans). J’ai pu grâce à cela faire une licence de sociologie à l’université. De nouveau privé de moyen pour poursuivre mon cursus, c’est alors une députée tchadienne qui me rencontre et me paye généreusement la première année de ma maîtrise que j’effectuerai au Burkina Faso. En 2018, on me demande de devenir directeur du centre.
Un centre qui m’a permis de retrouver une famille, une sécurité, de m’envoler en accédant à la scolarité, m’a permis de m’exprimer, d’intégrer le monde professionnel. Que serais-je devenu sans lui ?
– Mon souhait ? Que le CRJA grandisse, qu’il puisse aider les déficients visuels à apprendre la vie, à briser les préjugés sur les handicapés, à favoriser l’accès à la formation. Personnellement, j’aimerais plus savoir, plus apprendre pour aider cette structure. Et lui transmettre tout ce que j’ai appris, trouver mon successeur et lui donner un CRJA vivant. »
Le CRJA est un refuge, un pôle de sécurité et d’apprentissage qui répond à toutes les problématiques des déficients visuels du pays.
La principale mission du CRJA se révèle donc enfin… Accueillir de 3 à 18 ans les jeunes déficients visuels sans distinctions, les abriter dans une enceinte, recréer une famille qui se connait du bout des doigts, qui peut partager la même réalité et souffler. Un lieu typiquement africain où l’aîné prend soin du plus jeune, où le moins handicapé prend en charge les tâches pour le collectif, où chacun est très tôt responsabilisé. Éduqués avec amour et foi en une vision moderne d’inclusion et de respect de soi, ils se nomment Christophe, Françoise, Denis, Ali, Charline, Issen, … Ils sont une vingtaine à vivre là et à poursuivre une scolarité qui les mènera jusqu’au BAC.
Les taux de réussite sont très bons.
Le système marche. Zéro moyen mais jamais zéro de moyenne ! Ils apprennent la musique et une salle informatique avec une embosseuse vient d’être aménagée. Rien ne marche encore mais une bibliothèque remplie de braille pour les élèves et professeurs, alliée à la promesse d’une station d’embossage autonome est réconfortant. Un début qui fait tenir, qui fait espérer.
Prendre le virage de l’informatique et des nouvelles technologies est une priorité pour intégrer le monde d’aujourd’hui.
Emploi, famille, savoir, divertissement, … la vie ne se fait plus sans lui. Même au Tchad. C’est en route et c’est ainsi. Mais l’accès au numérique va demander encore beaucoup. Ni million, ni don matériel ne sauront remplir leurs rôles sans les compétences pour les manier. Pas d’internet au CRJA, un vieil ordinateur Windows, l’absence de qualification en informatique adapté, des soucis de configuration de l’embosseuse, de nombreuses coupures de courant, l’entretien, une chaleur contraignante pour les machines, une poussière omniprésente, etc… la route sera faite de patience et d’entraide.
L’Afrique doit pouvoir embosser son braille, ses auteurs, sa propre culture, ses propres programmes pédagogiques.
L’Afrique doit pouvoir transmettre à chacun de ses enfants sa culture millénaire et son incroyable patrimoine. Elle doit, comme chez nous, se battre pour que l’éducation et l’information soient à la portée de tous et donc des handicapés visuels, afin que le potentiel de chaque être humain ait une chance d’être nourri et de s’exposer. L’Afrique ne doit pas seulement recevoir de nous mais développer ses propres valeurs et savoir-faire. Alors c’est là-bas que ça se passe, c’est là-bas que le braille doit se faire et par ceux qui y vivent. Et si nous donnions le premier coup de pouce ?
L’anecdote :
J’ai apporté des ananas aux enfants. Les marchands de rues en proposent partout dans la capitale. J’ai pensé que cela serait un sobre présent, adéquate pour un partage à la récréation, que je ne ferais ainsi pas étalage de mon argent.
Les enfants n’en avaient pourtant jamais goûté ! Ils en découvraient le goût avec surprise. Pourquoi ?
Un ananas coute 1500 Francs CFA (2.3€). Et c’est ce que coute un enfant au CRJA en nourriture par jour !
J’ai appris à N’Djamena …
J’ai appris à N’djamena, dans ce Tchad lointain, que les yeux d’un enfant, même éteints par la cécité ou disloqués par la maladie, gardent toujours la même magie inexplicable : ils renvoient de l’innocence et de l’envie. Deux choses que j’ai par trop perdues… et que je vais m’empresser de retrouver.
Denis Guérin
Dans quelques mois nous ferons un don inter-associatif. On s’occupe de tout. Rejoignez-nous !
Je veux vous convaincre de les aider, sans bonne ou mauvaise conscience, sans culpabilité ni héroïsme. Mais juste par un mouvement, une réaction différente, une prise d’initiative, un détail, un élan qui nous sort de notre réflexion quotidienne et formelle. Car la bienveillance et la fraternité appellent la bienveillance et la fraternité. Il n’y a rien à faire, … osez simplement être touché, osez simplement vous imaginer. Merci.
Si vous voulez aider les enfants déficients visuels de N’Djamena, nous recherchons pour eux les dons suivants :
1. Don de compétences (formation de formateurs) :
- Formation adaptée logiciel Word.
- Formation adaptée Internet (Navigation, recherches).
- Formation à l’informatique adaptée (NVDA, installation de programme, environnement Windows).
- Formation sur l’embosseuse EVEREST V5 (configuration, entretien, embossage).
- Formation à la locomotion avec une canne blanche.
2. Dons matériels :
- Livres premières lectures.
- Méthodes d’apprentissage du braille.
- Jeux pédagogiques pour apprendre le braille.
- Jeux ludiques en braille.
- Claviers d’ordinateur grands caractères.
- Cannes blanches.
- Machine Perkins.
- Tablettes braille et poinçons.
- Calculatrices parlantes.
- Ordinateur portable.
- Pince Dymo braille et ruban adhésif.
- Feuilles plastiques thermoformables
- …et autres…
Pour toute question à ce sujet, contact via cet email : denisguerin@cteb.fr