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Moitié gauche: un rond blanc sur une texture bleue. Moitié droite: l’affiche du film. Le rugbyman rentre de face sur le terrain en tenant 2 enfants par les mains

Interview de Christophe André :

« Et n’oublie pas d’être heureux »

 – un abécédaire de psychologie positive en braille –

crédit photo: LP_Frederic Dugit

Christophe André est spécialiste des troubles anxieux. Il a été l’un des premiers à introduire la méditation de pleine conscience en France comme méthode thérapeutique. Transcrit en braille par le CTEB pour vous permettre de vous éveiller à la psychologie positive, nous avons rencontré ce psychiatre, psychothérapeute, chroniqueur TV, conférencier, auteur bien connu et apprécié des Français qu’est Christophe André. On a eu envie de le rencontrer pour vous et il a tout de suite accepté avec bienveillance et disponibilité. Quelques questions, quelque part entre psychologie, résilience, partage d’expérience et cécité.

Le livre de Christophe André est un Abécédaire. Mais à chaque mot ou à chaque maux, l’homme vous livre un peu de lui et de son parcours intérieur en mettant en anecdote son propre questionnement du quotidien.. Il n’aura pour seul sens de lecture que votre intuition au moment où vous le feuillèterez. Tel un recueil, ce format permet l’informel et la balade courte dans les idées. Vous vous arrêterez sur les mots qui vous font écho en fonction de ce que vous venez y chercher. Et vous recommencerez. Christophe André se sert ici de termes, de personnages et d’expressions qui lui sont chers pour illustrer et expliciter de manière alphabétique et pédagogique les notions de la psychologie positive.

 

Bonjour Christophe André.

Et si, comme dans votre livre, nous faisions des questions en abécédaire, à lire par le lecteur dans l’ordre qu’il veut ?

 

B comme Bonheur.

Comment apprendre à mieux savourer son bonheur lorsqu’il est là, à mieux le partager avec les autres ?

  • Ce sont les deux temps de la respiration du bonheur : inspirer et savourer, expirer et redonner. D’abord le savourer, lorsqu’il se présente, même les tout petits bonheurs, même ceux qui vont passer vite, et s’évanouir ensuite : toujours prendre le temps de les ressentir, dans son corps, dans sa tête. Puis le redonner : remercier la vie de nous avoir offert ce petit instant, le raconter à quelqu’un, sourire, dire un mot gentil, faire un geste altruiste, bref, transmettre un petit bout de ce que nous venons de vivre ; d’abord, cela va embellir le monde, et ensuite, cela va prolonger encore notre bonheur…

 

D comme Dualité.

Le monde et ses expériences, passées à la moulinette de notre cerveau en ressort souvent duel. Chaque personne peut voir dans une personne, un style, un objet, une odeur, une situation, une émotion, etc … son bienfait ou son contraire. Je me souviens d’un reportage sur la « maladie de l’eau », la potomanie, quand j’étais jeune. Des gens boivent 8 à 10 litres d’eau par jour de manière addictive, comme pour l’alcool, et en meurent. Cette même eau que la médecine nous pousse à consommer pour notre santé devient ici un poison. Je prends souvent cet exemple pour expliquer à mon fils que toute chose apporte du bon et du mauvais. Ais-je raison ? Est-ce une histoire de niveau de lecture, d’équilibre ou de proportion des choses ?

  • Peut-on se gaver de bonheur comme on se gaverait d’eau ou de nourriture ? C’est sans doute plus difficile ! Mais il est vrai qu’on ne peut espérer une existence seulement faite d’une continuité de moments heureux : l’adversité est le loyer de la vie, nous la rencontrerons forcément, soit sous la forme de petits ennuis quotidiens, soit sous le visage des deuils, maladies et handicaps. Cela m’inspire deux remarques. La première est que c’est justement parce que le malheur existe que le bonheur est important, qu’il faut l’accueillir et le savourer ; parce qu’il est ce qui va nous permettre de résister à l’adversité : nous pourrons alors, même malheureux, nous souvenir que nous avons eu des moments heureux, et que d’autres viendront. La seconde remarque est que ces moments de malheur sont peut-être aussi ce qui rend nos bonheurs plus beaux, plus forts et plus émouvants, ils jouent le rôle de l’ombre qui met la lumière en valeur.

 

F comme fragilité.

Comment faire comprendre à chacun que réduire une personne à ce qui dysfonctionne en lui nourrit le regard qu’il porte sur sa faiblesse et l’enferme derrière cette étiquette ? Le handicap que nous percevons comme tel nous effraie-t ’il parce qu’il nous renvoie à notre propre fragilité ?

  • C’est compliqué pour les personnes non handicapées d’adopter une juste attitude face aux personnes handicapées : peut-être faut-il accepter quelques maladresses au début, qui ne traduisent pas forcément un manque de respect, mais de l’embarras et de la méconnaissance. Effectivement, réduire une personne à son handicap est injuste et réducteur ; pour la personne handicapée, bien sûr, qui se sent rappelée à cette part entravée d’elle-même ; mais pour ses interlocuteurs maladroits aussi, qui passent à côté de toute la richesse d’une relation libérée des peurs et des préjugés. Oui, le handicap fait parfois peur, parce qu’il active des pensées autocentrées (« et si ça m’arrivait ? »). Chacun de nous doit alors faire ce petit effort de ne pas reculer sous l’effet de la peur, mais d’avancer au contraire, et d’aller à la rencontre sincère de la personne handicapée. La peur repose sur des idées fausses ou floues, et la réalité d’une vraie relation les dissipera très vite.

 

H comme handicap.

Par quels procédés ou pratiques parvenir à transcender son handicap, pour accéder à un meilleur état d’être ? Faut-il « l’oublier » d’une certaine façon ?

  • Sur la durée, oui, il me semble que ne pas faire du handicap le centre de gravité de son identité est la meilleure attitude possible. Mais pour « oublier » son handicap, il faut l’avoir d’abord « accepté », au sens donné en psychologie à l’acceptation : reconnaître ce qui est là, sans pour autant s’y résigner. Comme disent les maîtres zen, il est impossible de quitter un endroit où l’on n’est jamais arrivé. L’acceptation de ses limites est le préalable à la prise de distance avec elles. Elles se rappelleront régulièrement à nous, dans les moments difficiles, mais le reste du temps, elles nous oublieront comme nous les oublierons aussi. Pour autant, ce travail d’acceptation est une histoire qui obéit à des rythmes très personnels, qui ne peut venir que de nous, et non nous être imposé de l’extérieur.

 

P comme Psychologie Positive.

« La psychologie positive repose sur un triptyque : c’est une conviction, une science et une pratique ». Vous dites que celle-ci ne cherche pas à rassurer mais à ouvrir les yeux, qu’elle est l’étude des processus mentaux et émotionnelles qui nous aident à savourer la vie. Cela sous-entend que certains de nos processus font l’inverse ? Et par conséquence que notre cerveau est doué pour les deux polarités ? Est-ce que la psychologie positive serait alors l’apprentissage de l’art de voir le verre à moitié plein ?

  • Oui, la psychologie positive est un regard sur la vie telle qu’elle est. Elle ne consiste pas à se raconter des histoires (même si ça fait du bien parfois !) mais à être juste et ouvert dans notre lecture du monde : voir le négatif pour mieux l’affronter, voir le positif pour mieux le savourer. Notre cerveau donne toujours la priorité aux événements négatifs : ils attirent plus vite notre attention, ils nous marquent plus profondément sur le plan émotionnel, notre mémoire les retient plus facilement. C’est lié à l’évolution de notre espèce au travers des âges : pour survivre, il fallait avant tout repérer les dangers, les anticiper et s’en souvenir, plutôt que savourer les bons moments ! Du coup, nous sommes assez doués pour nous angoisser, et moins pour nous rendre heureux. C’est le but de la psychologie positive : rééquilibrer un peu notre rapport au monde.

 

J comme Jugement.

Le pire c’est que nous gardons trace et mémoire de cette première lecture de nos expériences. Nous pensons que les conclusions auxquelles nous avons abouties vont se reproduire. Comment échapper à cet apprentissage empirique de la dualité et retrouver toute une gamme de nuances mais aussi l’insouciance du futur ?

  • On ne peut pas empêcher notre cerveau de penser, et on ne peut pas l’empêcher de juger. L’aptitude à juger ce qui nous arrive (« bien ou mal » ; « sécurité ou menace » ; « ami ou ennemi » ; etc.) est inscrite elle aussi dans nos circuits cérébraux car elle nous aide à prendre des décisions rapides en cas de danger, ce qui est une bonne chose, ou en cas d’incertitude, ce qui est plus problématique. Dans ce dernier cas, il est important de s’en rendre compte, et de prendre de la distance avec ses jugements ; important de se dire : « OK, là je suis en train de porter un jugement sur cette personne, cette situation. Est-ce une bonne idée ? Est-ce que je pourrais voir les choses autrement ? Est-ce que je pourrais suspendre mon jugement le temps d’avoir d’autres informations ? » La vigilance envers notre inévitable réflexe à juger fait partie du travail accompli par exemple en méditation de pleine conscience : voir arriver la pensée jugementale, la reconnaître pour telle et l’examiner, avant de continuer à réfléchir ou agir.

 

N comme Normalité.

Comment développer dans notre société moderne un regard sans complaisance ni voyeurisme, capable de briser l’opposition entre normalité et handicap ? Comment en est-on arrivé là ?

  • Il me semble que nous avons fait déjà pas mal de progrès en la matière, et que les personnes souffrant de handicap sont beaucoup mieux accueillies et considérées dans nos sociétés qu’elles ne l’étaient autrefois. Je crois que la clé, c’est la proximité et l’éducation. La proximité : il est capital de tout faire pour que les personnes handicapées soit intégrées à tous les moments de vie d’une société : que les magasins, les musées, les rues, les salles de concert, tous les lieux de vie sociale leur soient rendus accessibles, afin que tout le monde se côtoie, se rencontre, se parle ; ce n’est pas seulement un service rendu aux personnes handicapées, mais à tout le monde, pour apprendre l’accueil, la bienveillance, l’entraide, l’interdépendance… L’éducation ensuite : si dès l’école, les enfants apprenaient à côtoyer, à temps plein ou partiel, d’autres enfants handicapés, si l’aide et les services aux adultes handicapés faisaient partie des activités péri-scolaires, un grand pas serait sans doute franchi.

 

S comme Sens.

Nous pouvons choisir de donner, ou non, un sens à notre handicap, à notre vie. C’est notre liberté, notre libre arbitre. Mais donner du sens permet-il réellement d’adoucir notre vie, d’apaiser nos tourments ? Peut-on être résiliant et vivre avec un handicap sans pour autant y chercher un sens ?

  • Séparons les deux domaines : la maladie, le handicap, l’adversité n’ont pas de sens en tant que tels. Ils résultent simplement du hasard, de la malchance, ou de logiques qui nous échappent. Par contre, les entraves et les difficultés nous obligent à réfléchir sur ce que nous voulons et pouvons faire de notre vie, au sens que nous pouvons lui donner. C’est leur seul avantage : lorsque tout va bien, nous nous laissons porter par un courant favorable ; lorsque maladie ou handicap sont là, nous devons nous montrer plus actifs, car le courant nous est défavorable. Certaines personnes s’interrogent alors sur le sens qu’elles souhaitent donner à leur vie ; d’autres se disent simplement : « le sens de ma vie, c’est vivre au mieux, c’est savourer, découvrir, partager… ». Il me semble que le regard sur l’existence des personnes ayant eu à affronter maladie ou handicap est toujours plus riche et dense que celui des personnes ayant connu surtout le confort et l’absence de difficultés.

 

V comme Vue.

Quelles ressources intérieures développer pour se détacher de la souffrance de la perte ou de l’absence d’un sens comme la vue ? Quel conseil donneriez-vous à une personne qui perd progressivement l’usage d’un de ses sens ?

  • Je ne sais pas si je peux être de bon conseil pour une situation que je n’ai pas vécue de l’intérieur. Je ne connais personnellement que l’expérience de la maladie grave (j’ai réchappé à un cancer du poumon), qui est encore autre chose. Mais j’ai le souvenir très précis de ce qui m’a alors aidé. D’abord, la gratitude : je me souviens que je méditais et priais alors souvent pour remercier Dieu et la Vie de m’avoir déjà permis de connaître tout ce que j’avais vécu jusqu’alors, au lieu de ne pas avoir existé, ou d’être mort jeune. Ensuite, l’acceptation, dont nous parlions tout à l’heure ; je n’avais pas choisi d’être malade, mais je l’étais, et donc je me répétais régulièrement : « OK, tu vas maintenant continuer avec ça, avec ce passager indésirable sur ton porte-bagage ; si c’est le prix à payer pour continuer le voyage, et bien tu t’en acquittes, et tu évites de t’infliger une double peine : la maladie et l’obsession de la maladie ; la première suffit ! » Enfin, la confiance : « à cet instant, tu as l’impression que ta vie est foutue, qu’elle sera une vie de moindre qualité que celle dont tu rêvais ; mais en vérité tu n’en sais rien, et comme tous les humains, tu penses plus facilement aux ennuis à venir qu’aux bonheurs, eux aussi à venir ; alors, tâche d’avoir un peu confiance et laisse faire la vie, en savourant déjà chaque jour l’un après l’autre… »

Merci beaucoup Christophe pour ce moment et cet échange.

Denis Guérin

Liens et ressources :

– Son livre « Et n’oublie pas d’être heureux » en braille ici :

 https://www.cteb.fr/librairie/nouveautes/et-noublie-pas-detre-heureux/

 

– Podcast :  « La chronique de Christophe André » sur France Inter :

https://www.franceinter.fr/emissions/la-chronique-de-christophe-andre

 

– L’émission « Bel & Bien » en replay sur France TV, animé par Ali Rebeihi et Agathe Lecaron, qui sont entourés d’une équipe de chroniqueurs dont Christophe André :

https://www.france.tv/france-2/bel-et-bien/

 

– Le site internet de Christophe André :

https://www.christopheandre.com/

 

 – Sa page Facebook :

@ChristopheAndrePsychiatre

 

 

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