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Moitié gauche: un rond blanc sur une texture bleue. Moitié droite: l’affiche du film. Le rugbyman rentre de face sur le terrain en tenant 2 enfants par les mains

“L’enluminure accessible à tous”

Le livre tactile par excellence.

Interview de Hind Cherrat

« Je suis pour la culture pour tous, l’inclusion, la transversalité, j’ai développé cet atelier pour rendre l’enluminure accessible à tous, une occasion de plus pour rompre l’isolement et vivre pleinement sa culture ».

Enlumineure-ornemaniste émérite et franco-marocaine, Hind Cherrat est un trait d’union. Une connexion entre les cultures, les religions, les arts, les matières, les périodes, entre le livre et vous, entre lui et vos doigts ! Hind Cherrat parle tactile comme vous lisez avec vos doigts ! Cette autre professionnelle du livre partage avec le CTEB les mêmes missions et un lexique commun : livres, papier, relief, embossage, histoire, illustrations en 3D, thermoformage, caractères, reliure, … Pour preuve, elle s’intéresse en retour au braille ! Pourriez-vous imaginer le livre tactile par excellence : un ouvrage en braille parfait d’illustrations et d’enluminures en relief ? Alors suivez-nous et venez découvrir ce regard et ce métier séculaire dans l’atelier près de Strasbourg de Hind Cherrat…

Bonjour Hind.

D’où vous vient votre passion pour ce métier séculaire ?

– À vrai dire, cette passion m’est venue naturellement. Je suis née dans une famille d’artisans d’art à Marrakech, une ville chargée d’histoire, une ville-musée à ciel ouvert. Les décors architecturaux que l’on peut voir dans la vieille citée rappellent par leurs compositions géométriques et florales les décors présents sur une porte d’entrée, sur la surface d’une table, sur une reliure ou dans une enluminure de manuscrit. Les artisans se côtoient sans cesse. Les rappels sont incessants d’un artisanat à l’autre.

Pendant les vacances scolaires j’aimais bien rejoindre mes tantes dans leurs ateliers de broderie. Grâce à elles, j’ai touché de près l’artisanat d’art, un monde passionnant et riche en couleurs, en lumière et en matières.

À 16 ans mes parents m’ont inscrite aux arts appliqués où j’ai appris les bases du dessin, de la couleur, de la calligraphie… Après le bac j’ai été admise aux Beaux-Arts de Nancy, un environnement fantastique et dur à la fois.  J’y ai découvert de nouvelles disciplines et ateliers mais aussi une approche différente de l’art, une remise en question perpétuelle des codes de l’esthétique.

Après quelques années comme illustrateure-graphiste à réaliser des brochures et des logos, je suis revenue au livre manuscrit et forcément à l’enluminure et aux ornements. J’ai toujours cherché à innover dans leur création, à utiliser des techniques contemporaines et des nouveaux concepts, en privilégiant le côté esthétique de l’enluminure plutôt que sa symbolique.

Comment expliqueriez-vous ce métier à quelqu’un qui ne peut pas voir ?

– L’enluminure fait partie des métiers du livre, son rôle est d’embellir les écrits avec un décor sous forme d’entrelacs ou d’arabesques, géométrique ou floral et des illustrations en couleur. Elle est entièrement réalisée à la main avec des matériaux nobles comme la feuille d’or, le parchemin (un cuir fin spécialement fabriqué pour l’enluminure). La calligraphie est faite sur du papier de haute qualité. Une enluminure c’est comme une belle musique, un bon parfum, elle procure un sentiment de sérénité et de bien-être.

Vous dîtes avoir l’ambition « de rendre l’enluminure accessible à tous ». Le leitmotiv du CTEB est « le livre accessible à tous ». Qu’entendez-vous par là et comment œuvrez-vous pour cette accessibilité ?

– C’est vrai, mon vœu le plus cher est de rendre l’enluminure accessible à tous.

Réaliser une enluminure dite « classique » demande un apprentissage long et fastidieux, quelques années de labeur, un passage obligé ! Alors j’ai tout d’abord créé un nouveau procédé plus abordable financièrement comme techniquement à base de pâte à papier. Ces enluminures très en relief peuvent être réalisées par des personnes de tout âge (de 7 à 107 ans) et permettent aux personnes mal- et non-voyantes de découvrir l’enluminure par le touché et le tactile, un patrimoine culturel jusqu’alors inaccessible.

Ce procédé pour obtenir des lettres et des ornements en relief, ce « gaufrage » avec de la pâte à papier me rappelle notre travail au CTEB d’embossage du braille ou de mise en relief des dessins et illustrations. Quelle est votre technique ?

– Il y a plusieurs techniques pour réaliser des enluminures en relief, soit par la technique du gaufrage comme vous l’avez souligné, soit par la réalisation de moules en silicone ou en thermoformage dans lesquels la pâte à papier sera coulée. La fabrication de ces moules est relativement couteuse mais permet la réalisation de reliefs plus importants « des petits bas-reliefs » qui facilitent la compréhension des formes de l’enluminure par le touché. Je prends une empreinte de l’enluminure pour fabriquer un moule dans lequel est coulée de la pâte de papier. Il en ressort une épreuve qui peut être composée de lettres, de symboles, d’un motif.

Dans une époque de tensions et de peurs entre les religions et les gens, votre travail comporte une singularité. Il mélange tour à tour les sublimes ornementations arabes comme européennes ; l’islam comme la chrétienté (et toutes les autres grandes religions) ayant toujours été de grands consommateurs de cet art. Quel est votre rapport avec ce sacré qui transpire dans votre artisanat ?

– Le mot enluminure vient du latin « illuminare ». Son rôle est donc d’illuminer, d’éclairer les textes. Cet art connu son plein essor en occident au Moyen-Âge, d’abord dans des ateliers monastiques au service du christianisme puis dans des ateliers laïcs au service de princes et mécènes. Le livre enluminé, aux lettrines et miniatures rehaussées d’or, était considéré comme une œuvre d’art et sa possession signe de richesse. L’apparition de l’imprimerie correspondra à la disparition progressive de cet art.

Parallèlement dans le monde arabo-musulman l’enluminure apparaît dès le VIIIème siècle, s’épanouie entre le IXème et le XIVème siècle, et demeure un art vivant de nos jours. Conçue pour magnifier la calligraphie, l’enluminure célèbre des textes coraniques et des textes profanes. L’importance extraordinaire de la calligraphie dans les pays arabes explique cette survivance de l’enluminure.

De nos jours avec le développement des nouvelles techniques d’impression et de reproduction, avec l’apparition d’internet et des réseaux sociaux, les trésors cachés des bibliothèques, autrefois réservés à une élite, ont vu le jour au grand bonheur des internautes. Mémoire vivante de notre patrimoine, les enluminures se sont ouvertes aux auteurs et poètes contemporains aux illustrations et techniques modernes.

 

Même si de nos jours l’enluminure et la calligraphie ont évolué vers les textes profanes, leur essence même est de magnifier les textes sacrés. Il est donc normal que j’aie eu l’occasion d’enluminer des textes coraniques et bibliques parfois suite à des commandes. C’est un trait commun que l’on retrouve à travers toutes les époques et les différents styles de l’enluminure, qu’ils soient Romain, Gothique, Celtique, Perse, Turc, Arabe… cet art a toujours été au service du sacré.

L’art du vitrail qui magnifie aussi le sacré, me fascine également. La lumière qui révèle sa beauté me fait penser à l’éclat de l’or sur l’enluminure.

Mes enluminures s’inspirent beaucoup du style Gothique et du style Hispano-Mauresque.

Ma double culture franco-marocaine, ma formation aux Beaux-Arts, ont naturellement influencé mon travail. Il n’est pas rare de voir dans mes enluminures des décors orientaux entourer des textes écrits dans un style médiéval et vice versa. De même on y retrouve des textes en langue arabe côtoyer des textes en français sur le même parchemin. Ne vous étonnez donc pas à l’avenir si vous trouver du braille dans mes œuvres enluminées…

Vous dites aussi « être revenue au papier blanc, avoir dépouillé l’enluminure traditionnelle de sa couleur et de sa dorure ». Pourquoi ?

Posséder une enluminure a toujours été signe de richesse. Un art qui se veut élitiste. Partant de ce constat, je me suis questionnée sur cet art ancestral :

  • Peut-on rendre l’enluminure accessible à tous ?
  • Doit-elle rester cantonnée à une époque et à une technique ?
  • Quel nouveau regard peut-on poser sur l’enluminure ?
  • Peut-elle devenir un objet de consommation ?

Une des réponses à ces questions a été de dépouiller l’enluminure de sa couleur et de sa dorure et de révéler par le relief les formes de ses lettrines et de ses ornements. Ainsi de nouvelles pistes de recherche se sont ouvertes avec par exemple l’utilisation de nouveaux matériaux tels que la pâte à papier, la porcelaine ou le plâtre japonais… Ces nouveaux matériaux offrent non seulement une nouvelle esthétique, mais aussi une nouvelle perception et représentation de l’enluminure. L’enluminure devient aussi tactile donc accessible à tous.

Par la sensibilité des matériaux employés et le coté tactile que vous lui développez, vos œuvres sont particulièrement destinées au public non-voyant. Quel est votre rapport avec le sens du toucher ? Avec la cécité ?

Dans les métiers d’art on est très sensible à la matière, sa texture et naturellement à son toucher. Dans l’atelier artistique que j’ai développé et intitulé « Art du papier – enluminures en relief » il n’est pas rare de croiser des duos voyants / malvoyants pour réaliser une lettrine, un ornement en relief ou une retranscription de la lettrine en braille. L’idée de ces ateliers m’est venue après avoir participé à Strasbourg au festival « entendez-voir », le rendez-vous du livre et du film accessibles à tous.

Je suis fascinée et admirative par la simplicité et l’universalité du braille après avoir découvert la transcription de la langue arabe en braille. Ces six petits points magiques capables de transcrire l’alphabet latin et l’alphabet arabe attisent ma curiosité et mon envie d’apprendre le braille dans les deux langues.

Alors ? Tenté par vous faire un petit cadeau inclusif : aussi beau avec les doigts que doux avec les yeux ?

 

En savoir plus :

Hind Cherrat, 59 route de Brumath, 67460 Souffelweyersheim.

Tél. : 06 30 11 13 43 / 03 88 20 40 89

Email : hind.cherrat@orange.fr

Site : https://enluminuresetornements.com/fr/

LinkedIn:

https://www.linkedin.com/in/hind-cherrat-45898b196/?originalSubdomain=fr

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