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Moitié gauche: un rond blanc sur une texture bleue. Moitié droite: l’affiche du film. Le rugbyman rentre de face sur le terrain en tenant 2 enfants par les mains

Interview de Romain Puértolas,

auteur de :

« Un détective très très très spécial »

Roman – 12/14 ans. Crédit photo: Eric Clément.

Bonjour Romain.

De par sa vivacité, votre livre me fait la sensation d’un exutoire qui serait offert de vivre aux lecteurs à leur tour. Je m’explique … L’ histoire de Gaspard, le personnage principal et jeune homme atteint de trisomie 21, est un support parfait pour s’échapper de manière littéraire de certains carcans non ?

Pour s’évader, comme vous, il écrit. Par ses écrits, il revisite son histoire personnelle, il s’évade, il s’autonomise, il exprime sa grande sensibilité, son imagination fantasque, souligne les paradoxes et absurdités inconscientes de notre société, enquête et prône la curiosité, clame sa différence et explique ses désirs intérieurs. Et c’est communicatif !  Le lecteur est pris dans ce tourbillon d’idées loufoques et d’anecdotes fabuleuses qui s’entrecroisent jusqu’au suspense des toutes dernières pages. Á la manière du film « Usual Suspects » de Bryan Singer, Gaspard relève certains indices désuets du quotidien échappant à notre radar et les monte en épingles pour nous emmener avec lui dans son univers.

Pourquoi faire parler dans ce livre une personne atteinte de trisomie 21 ?

– Dans mes romans, du moins jusqu’ici il y très peu (car j’ai maintenant changé de style et thématique), j’ai toujours inventé des personnages hauts en couleurs, différents, pleins, marginaux. Rappelez-vous, le fakir coincé dans l’armoire Ikea qui découvre l’Europe, Napoléon qui, dans Re-vive l’empereur !, revient à notre époque, Agatha Crispies, policière obèse et noire, dans Tout un été sans Facebook. J’aime explorer la différence, tous ces personnages ont ce trait commun d’être différents, mais ils ne sont pas des victimes, ils sont forts, usent de cette différence comme une force et non un défaut ou une faiblesse. C’est exactement le même procédé dans Un détective. Un personnage différent, Gaspar, atteint de trisomie, mais qui est fort. Il transcende le handicap, il a 2 métiers alors que de nombreux lecteurs penseront qu’une personne atteinte de trisomie ne peut même pas en avoir un.

Je n’ai personne dans mon entourage étant soi-même trisomique, ou ayant un enfant trisomique, et ce roman n’est qu’un travail de composition, pas un guide sur la trisomie. Évidemment, j’ai dans mon entourage des médecins travaillant en instituts spécialisés, qui ont pu me conseiller ou valider la véracité de mes actions dans le roman. Cependant, j’explore tout autre chose, je voulais que le lecteur soit dans la tête de Gaspard, un esprit plein de fantaisie, plein de merveilles. J’ai laissé parler ma part d’enfant pour mettre en musique les idées de Gaspard. Cela a été un vrai moment de bonheur pour moi que d’écrire ce livre. Je n’avais aucune limite dans mes songes.

 

Le regard fantasque et décalé de Gaspard semble vous permettre de repérer les multiples paradoxes et absurdités inconscientes de notre société ?

– Oui, voilà, tel était mon intérêt. Exactement comme les écrivains du 18ème siècle critiquait leur société en s’abritant derrière des personnages tels Gulliver (en France, nous avons les Lettres persanes), j’ai utilisé l’innocence de gaspard pour pointer du doigt nos incohérences, ces choses qui détonnent dans notre société. J’avais déjà fait cela dans le Fakir.

Je vois moi-même le monde avec mes yeux d’enfants. Pourquoi tant de violence ? De guerres ? De politiciens qui s’en mettent plein les poches ? Pourquoi le monde est si injuste et personne ne fait rien ? Pourquoi y aura-t-il toujours des riches et toujours des pauvres ? La réponse : l’être humain. Rousseau pensait que nous étions bons, je ne pense pas que ce soit le cas. L’être humain est de nature égoïste. L’égoïsme est l’origine de l’injustice. Les Blancs, les Noirs, les religions, tout cela tient de la même cause : l’homme et son égoïsme. Et sa division du monde en deux catégories. La sienne et celle des autres. Sa couleur et celle des autres. Sa religion et celle des autres, etc.

 

Dès le début du récit de Gaspard, on sort du cliché habituel « du handicapé normal » : celui qui est juste un handicapé, qui ne travaille pas, qui ne subvient pas à ses besoins et qui a toujours besoin des autres. Qu’est-ce que le handicap pour vous ? Quelle est votre définition « d’être handicapé » ?

– Oui, j’ai horreur de la victimisation, des gens qui, parce qu’ils ont un « handicap », ne font rien de leur vie et se lamentent. On a tous les jours des exemples de personnes sans jambes qui courent plus loin que ceux en ayant. Et cela ne touche pas seulement que le handicap tel qu’on l’entend, physique ou moral. Il existe également le handicap social, celui de ne pas être né dans le bon quartier, de ne pas avoir la bonne couleur de peau. Or, des personnes issues de milieux défavorisés atteignent aussi le sommet et des postes clés de la société. Fort heureusement. Un président américain noir, une gardienne des sceaux issue de la communauté maghrébine. Je ne crois qu’en la volonté et le travail. Le reste n’est que vaste fumisterie. Donc Gaspard devait être fort. Volontaire. Devait en faire plus qu’une personne considérée comme normale.

 

Il y a entre les lignes de votre livre comme une invitation « à vivre sa vie à soi » mais surtout à « être curieux ». Serait-ce votre recette intérieure du bonheur (ou d’une forme de résilience) ?

– Oh oui, curieux, c’est peut-être ce qui me caractérise le plus. Volontaire et curieux. J’ai une maîtrise d’espagnol, une maîtrise de linguistique, une licence d’anglais, un diplôme de météorologie de Météo France, un diplôme de garde du corps privé. J’ai exercé plus d’une dizaine de métiers dans ma vie, de steward à prof en passant par traducteur, nettoyeur de machines à sous, capitaine de police. J’ai déménagé 39 fois dans ma vie, vécu dans 3 pays. Je parle 6 langues. Je suis musicien, compositeur interprète, écrivain, scénariste. Tout cela pourquoi ? Pour la seule et même chose : ma curiosité insatiable. Maintenant, je suis écrivain. Je passe ma vie à apprendre des choses. A les chercher surtout.

 

Pourquoi et comment avoir pris la plume et être devenu écrivain ?

– J’ai écrit mes premières histoires à l’âge de 8 ans. Je suis depuis petit un énorme lecteur. Je suis né avec un livre dans la main. Déjà, lorsque ma mère faisait les courses à l’hypermarché, elle me laissait au rayon livres et revenait me chercher une heure après. Je n’avais pas bougé.

J’ai toujours eu besoin de cette autre vie que vous offre les livres. J’ai eu 50 vies dans ma vraie vie et 1000 autres dans ma vie littéraire. Je vous le dis, je peux mourir demain.

Je ne suis donc pas devenu écrivain. J’écrivais depuis l’enfance. La seule différence est que maintenant je gagne de l’argent avec ce que j’écris et je peux vivre de cela. Voilà l’énorme différence. Mais il faut que vous sachiez qu’avant cela j’ai passé 37 ans de ma vie à écrire sans que cela ne serve à rien, rien du tout !

 

Reste la question de l’unicité. Celle qu’il nous faut tous découvrir et assumer. Être différent, c’est dur quand même ?

– Oui, c’est dur, mais il faut trouver le moyen d’en faire une force. Moi, je sens tous les jours la différence d’être français dans un pays qui n’est pas le mien, l’Espagne. A l’école de police, je sentais la différence d’être issu des langues alors que les autres étaient issus du droit. Dans l’aviation, je sentais tous les jours de ne pas être ingénieur aéronautique alors que tous l’étaient autour de moi. Et vous savez quoi ? Je me sentais fort. Car qui venait-on chercher lorsqu’il fallait présenter le nouveau projet à une délégation russe ou américaine ? Devinez. Moi. Celui qui possède les langues détient le pouvoir. Ma vie me l’a toujours démontré. J’ai tout réussi dans la vie grâce à ma volonté, mon travail, mon manque de honte qui m’a poussé à tout oser, et… les langues.

 

Qu’ imagineriez-vous raconter d’autre si Gaspard avait été aveugle ?

– Eh bien je l’aurais amené dans un univers visuel incroyable. Il aurait inventé un monde beaucoup plus beau que le vrai, beaucoup plus riche en couleurs, il aurait vu les hommes et les femmes meilleurs qu’ils ne le sont en vrai. On ne voit bien qu’avec le cœur disait St Exupéry dans Le petit prince. Il avait raison. Nous n’avons pas besoin des yeux pour voir la beauté des choses ou des gens. Les yeux ne servent qu’à ne pas nous cogner contre une table. C’est ce qu’il faut se dire, que l’imagination dépasse la réalité. Imaginez !!

 

Votre livre est maintenant accessible en braille aux non-voyants. Ils sont en situation de handicap sensoriel, sans le sens de la vue, le plus priorisé des sens par notre type de société. Que leur dirait Gaspard ?

– C’est merveilleux de pouvoir lire, être non-voyant et pouvoir lire ! Vous savez, je compare souvent la lecture à la liberté. Un prisonnier n’est plus enfermé si on lui laisse un livre dans sa cellule. Le braille est donc l’une des plus grandes inventions. Pouvoir donner ce pouvoir de lecture à des personnes qui pourraient en être exclue au premier abord. Nous sommes dans une société de m’as-tu-vu. Les réseaux sociaux c’est se montrer. Pas voir !

Merci Romain pour se partage et plein de succès pour votre prochain livre que je sais être en cours !

Ressources :

Romain Puértolas vous recommande le film « Le livre d’Eli » avec Denzel Washington si disponible en livre audio ou prochainement en audiodescription à la télévision :

– « Excellent. Le retournement final. Il est non-voyant ! Alors que durant tout le film, il lit, il se bat contre des gangsters. Incroyable. Il est la preuve vivante que l’on peut être plus fort même en ayant ce que les autres appellent un handicap. »

Et parmi les livres :

– « Toute l’œuvre de Jules Verne, qui m’a appris ce qu’était le pouvoir de la lecture. »

 

Le livre en braille ici :

https://www.cteb.fr/librairie/nouveautes/un-detective-tres-tres-tres-special/

Son compte Facebook :

https://www.facebook.com/romain.puertolas.18

 

 

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