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photo: 1 homme de profil face à son bureau avec un casque, un micro, des journaux et un ordi.

L’article-duo Christelle Girard / Adeline Coursant

Tir sportif et déficience visuelle

Un article duo mais pas duel et heureusement ! Car ces deux femmes savent redoutablement tirer avec une arme. Avec sommation et bienveillance, merci à ces deux battantes qui nous parlent d’une passion commune et méconnue : le tir de compétition. À travers elles s’expriment la réalisation du soi et ses défis. Un témoignage voyant versus non-voyant au pays de la précision et du mental ….

Christelle Girard

championne en devenir

Christelle Girard, mal-voyante sévère depuis 12 ans à la suite d’une maladie rare relève un défi d’envergure. Elle entreprend de devenir championne de tir handisport ! L’occasion rêvée de découvrir cette discipline, ses sensations et ses motivations.

Pourquoi ce challenge et devenir championne de tir sportif ?

J’ai toujours eu dans le sang l’esprit de compétition. En effet, lorsque j’étais au collège, j’étais à fond dans mon activité sportive : la course à pied. J’ai eu la chance de pouvoir participer à des championnats de cross-country et suis même allée à une sélection en championnat de France. Mais en raison de problèmes de santé très lourds (non liés à la vision), j’ai dû stopper le cross et ma scolarité. Par ma persévérance et ma détermination, j’ai pu reprendre les cours. Par contre, j’ai dû faire le deuil de la compétition. J’ai mis 20 ans à l’accepter ! Plus tard et devenue mal-voyante, lors d’une balade en famille à la fête foraine, nous sommes arrivés vers un stand de tir. Ronin, mon fils, en profite pour tirer sur 3 ballons en mouvement dans une cage. Alors qu’il lui reste quelques plombs, Ronin me tend la carabine et souhaite me laisser tirer (avec l’accord de l’animateur du stand) sur les ballons en me guidant d’un « top ! » avant d’appuyer sur la détente de la carabine. Dès le premier tir lâché, j’entends le « boum » d’un ballon touché !!! Je recommence avec les plombs restants et j’entends les ballons exploser. Un déclic se produit. Je retrouve l’émotion que j’avais plus jeune, lors de mes participations en compétitions de running en cross-country. Ce moment reste inoubliable ! Mon unique envie est dès lors de revivre l’expérience du tir, qui me donne le sentiment de pouvoir faire tout ce dont j’ai envie. Et puis, après tout, je me suis dit que c’était un sacré défi… de tirer sans voir !

Quelles sont les sensations, les ressentis du handitir ?

Je tire au réel, avec la même carabine que n’importe quel tireur à 10 mètres et avec des projectiles de plombs de 4.5mm. Mise à part la façon de viser, tout le reste suit un déroulement identique au tir classique. C’était très important pour moi. En compétition, il y a l’épreuve de tir couché (tirer 60 plombs en une seule session de 50 minutes) et celle de tir debout (60 plombs en 1h15). On utilise la proprioception pour retrouver sa posture de tir, replacer instinctivement sa carabine en position idéale face à la cible et pour que le son que je perçoive dans mon casque et qui sert à guider mon tir soit le but ultime.

Le handitir me procure le sentiment d’être libre, indépendante, sûre de moi, que tout est possible. Ces sensations comblent mon besoin permanent de me dépasser, d’avoir des objectifs et d’aller toujours plus loin.

Le handitir en caméra subjective avec Christelle.

J’arrive au club, je donne le bonjour à mes amis, je prends des nouvelles de notre mascotte « Carabine »… le chat du club ! Je passe ma veste de carabinière, mon gant et je m’installe à mon poste de tir. Il est composé d’un tabouret et d’une table de tir qui sont adaptés pour la compétition et qui me sont réservés. La carabine m’est prêtée par le club. Les plombs, les cartons et le système sonore Viass me sont apportés et mis en place par Maurice, qui gère le pas de tir. J’utilise une lunette de visée spéciale fixée sur la carabine. Cette lunette transforme ce qu’elle voit en son. Plus on est sur l’extérieur de la cible plus le son est grave et plus on s’approche du centre, plus le son devient aigu. Ce système est doté d’une très haute précision. Quand le son m’indique le centre de la cible, je déclenche le tir. Ce système Viass peut à l’aide d’un ordinateur m’indiquer mon score. Je passe donc mon casque audio, je prends alors ma position de tir. Je charge ma carabine et je me concentre sur le son renvoyé dans mes écouteurs. J’affine le placement de ma carabine en retour du son perçu. Quand le son m’indique le centre de la cible,  je passe en apnée afin de limiter les micro-mouvements parasites. J’appuie sur la détente, mon assistant(e) m’indique alors mon résultat en me touchant brièvement le bras entre l’épaule et le coude pour signifier un 10.9 plein centre du carton. Il touche dans mon dos en indiquant comme sur le cadrant d’une horloge la position du tir sur la cible si celui-ci n’est pas pile au centre. Je recharge alors ma carabine, je corrige si besoin ma position par rapport aux informations de mon assistant(e) et du son entendu … et ainsi de suite pour 60 plombs en 50 minutes.

Le plus dur dans le tir ? Les freins, les pénibilités ?

En tout premier lieu c’est de trouver une association où l’on puisse tirer en tant que déficient visuel. J’ai la chance d’habiter dans une ville avec un club de tir qui accepte les personnes ayant différents types de handicap. Il s’agit du « Handphyclub » que j’ai pu intégrer comme n’importe quelle autre sportive. Le tir, contrairement à ce que l’on croit est une discipline très physique, et la non-voyance demande déjà énormément de concentration. Lorsque j’ai commencé le tir, j’ai d’abord appris à me placer, à appréhender mon environnement puis à savoir tenir la carabine. Dès lors il a fallu que j’assimile la corrélation entre le son de mon casque et la correspondance de celui-ci sur la cible. Le plus grand frein vient aussi du fait que c’est un sport onéreux et peu répandu dans le monde de la déficience visuelle. C’est pourquoi j’ai mis en ligne une cagnotte solidaire pour m’aider à acquérir le matériel de compétition et spécifique à la déficience visuelle. J’ai besoin de réunir 9800€.

www.leetchi.com/c/christelle-defi-championnatspara-tir-non-voyante-relxdan5

Quel message pour ceux qui vivent le handicap visuel et aider à un autre regard sur celui-ci ?

D’avoir pu reprendre un sport qui me plaît et me changer les idées donne un sens supplémentaire à ma vie. De pouvoir présenter la déficience visuelle sous une autre approche également !

Lors de conversations, les gens sont à chaque fois surpris quand je leur explique que je tire à la carabine… Cela leur paraît être totalement insensé ! Puisque c’est « dingue », ils s’intéressent et désirent en savoir plus sur le sport que je pratique. Ils cherchent alors à mieux comprendre quelles sont les particularités quand la vision nous fait défaut, ce que cela engendre sur la perception du monde et dans la vie de tous les jours. Des échanges s’ouvrent sur la déficience visuelle.

Être malvoyant ou non-voyant ne signifie pas que nous ne soyons pas des personnes comme les autres. Certes, un de nos sens se retrouve défaillant, mais à force nos autres sens deviennent plus sensibles à notre environnement.

Comment être résilient face à la cécité ?

La maladie ou un accident peut toucher chacun d’entre nous un jour ou l’autre. La phase la plus compliquée est l’acceptation que certaines choses doivent beaucoup changer. Le plus difficile pour moi au début de ma maladie était que je ne voulais pas utiliser de canne blanche. Peu de temps après, je me suis cassé le pied en ayant mal évaluer ma position et j’ai heurté un obstacle devant moi ! Suite à cette mésaventure et lors de mon retour au travail quelques jours plus tard, je me suis assommée contre la porte d’entrée vitrée du bâtiment. J’ai donc finalement pris des cours de locomotion qui m’ont permis d’apprendre à utiliser une canne blanche, savoir comment appréhender mon environnement et écouter ce qui se passe autour de moi.

Puis quand la mal-voyance est devenue une non-voyance quasi-totale. Étant une grande marcheuse, j’ai appris à utiliser un système de détection d’obstacles complémentaire, un bracelet électronique à ultrasons qui complète ma canne blanche en détectant plus particulièrement les obstacles en hauteur ( branches, volets, rétroviseurs, panneau….).

Je fais beaucoup de démarches dans le but d’informer et de changer le regard des autres vis-à-vis du handicap visuel avec l’aide de Dominique ALLAIN de l’association Voir Ensemble, personne très impliquée sur Dijon et Paris.

Concernant les clichés ? Une anecdote peut-être ?

Un cliché classique, c’est que les personnes non ou malvoyantes se négligent car elles ne se voient pas. Un jour, dans la rue, une jeune femme m’a fait remarquer que malgré mon handicap visuel, j’étais très belle, parfaitement maquillée et habillée et que cela l’avait surprise.

J’ai des astuces ! Je classe mes tenues de façon à ce qu’elles soient assorties (dans mon cas mon fils et mon mari m’aident -il existe aussi des systèmes lecteurs de couleurs, on peut aussi fixer des repères sur ses tenues pour les différencier-). J’ai aussi eu la chance de rencontrer une maquilleuse, qui m’a donné des conseils afin de pouvoir me maquiller seule et en faire ni trop, ni trop peu.

L’anecdote est la remarque qui m’a le plus choquée. Lorsque je me promenais avec mon mari et mon fils (et j’aime bien me balader sans être en permanence tenue ou guidée physiquement), deux personnes de 10/15 ans mes aînées s’adressent à mon mari avec une voie hautaine en lui disant :  « dites-donc monsieur, vous pourriez la déplacer ». Comme si j’étais incapable de comprendre moi-même, réduite à une sorte d’objet, de chose ! Puis de renchérir : « vous ne voyez pas qu’elle nous dérange, nous sommes en train de converser. »

Alors même que ces personnes étaient placées juste sur la ligne podotactile que j’utilise pour me guider et me permettre de repérer la piste cyclable du trottoir piétons !!

Vous apprenez le braille : pourquoi ?

J’ai ressenti le besoin de me mettre au braille parce que je me suis retrouvée coupée du monde en général. C’est surtout la curiosité, la soif d’apprendre, de se cultiver qui me manquait énormément.

En effet, même si la société où je travaillais a vraiment fait le maximum pour m’accompagner pendant 10 ans en adaptant mon poste, j’ai dû arrêter de travailler en octobre 2018. J’étais hôtesse d’accueil, secrétaire et standardiste dans un centre de formation. J’ai eu la chance d’avoir une équipe de direction qui a tenu compte de mon handicap évolutif au fil des années. J’avais alors un ordinateur muni d’un logiciel qui vocalisait tout ce que je faisais. Puis je me suis retrouvée à la maison sans matériel ce matériel. J’avais envisagé avec l’aide de la MDPH, l’acquisition d’un système de lecture de documents papier vocalisé mais le dossier traîne depuis plus d’un an déjà. J’ai alors pris les choses en main « en mode Christelle » et j’ai décidé d’apprendre le braille intégral toute seule avec une méthode géniale : Evelyne KOMMER « Du Noir au Braille » ! Dans le même temps et afin de m’aider pour le toucher, j’ai utilisé un Rubik’s cube tactile, cela m’a beaucoup apporté. Et là, une énorme fenêtre s’est ouverte sur un autre monde !

J’ai commencé à apprendre le braille abrégé, grâce à une méthode en 7 volumes. Enfin, j’ai pu recevoir des livres en braille ! Au début j’ai lu des livres de la bibliothèque verte, ceux que je lisais quand j’avais 7 ans. C’était trop marrant ! Puis je suis passé à des romans.

 

Adeline Coursant

championne de tir sportif

En tant qu’ancien membre de l’équipe de France et sportive de haut niveau dans le tir sportif à la carabine et à l’arbalète, je trouve formidable d’avoir pu adapter ce sport aux personnes déficientes visuelles.

 

Beaucoup diraient que c’est avant tout un sport où il faut avoir une bonne vue. Mais le tir sportif est avant tout un sport où il faut perfectionner plusieurs éléments techniques : les positions de tir (qui font référence au travail du corps pour obtenir la meilleure stabilité possible, le « lâcher » (qui correspond à l’action du doigt sur la détente), et enfin la visée (qui n’est autre qu’un signal visuel de centrage déclenchant l’action du doigt pour le départ du coup). Hormis ces aspects techniques qui se perfectionnent tout au long d’une carrière, il faut aussi maîtriser son mental et son égo pour favoriser un état qui place le tireur en mode « automatique ». C’est un état « rare et précieux » qui pourrait s’apparenter à de l’auto-hypnose ou une sorte de transe éveillée. Cela permet au tireur de ne plus calculer tout ce qu’il a à faire pour faire mouche. Les gestes qualitatifs qu’il a travaillé durant l’entraînement sont devenus aussi automatiques que les réflexes que nous avons en conduisant. Ce sont des gestes gagnants, même si l’arme du tireur est toujours en mouvement. Dans cet état de grâce, le tireur subit lors d’une compétition moins le stress dû à son mental. Car il faut le savoir, être seul et immobile avec son arme durant tout un match nous laisse le temps de cogiter et donc potentiellement de saboter notre performance.

 

Dans le cas du tir sportif adapté aux personnes déficientes visuelles, c’est l’ouïe qui remplace la vue. On ne cherche plus à faire « mouche » avec ses yeux, mais avec ses oreilles. Pour ma part, j’ai toujours porté des bouchons d’oreilles dans mon sport, cela me permettait de ne plus entendre les bruits extérieurs qui auraient pu me déconcentrer. Dans le cas de Christelle, il faut qu’elle compose avec le bruit du casque qu’elle porte. A contrario, la luminosité d’un stand de tir, ou l’éclairage d’une cible peut être très pénalisante pour un tireur « voyant », il devra adapter des filtres de couleurs sur ces organes de visée pour être moins gêné.

 

Que ce soit la vue ou l’ouïe qui soit mise à contribution, le tir est un sport qui demande de canaliser ses énergies pour dépasser ses propres limites.

Bonne chance à Christelle pour ses prochaines compétitions !

Adeline COURSANT, directrice du CTEB.

Championne d’Europe, 4e au Championnat du Monde, 12 coupes du Monde, 6 fois Championne de France.

 

 

 

 

Par dessus l'épaule d'un tireur à la carabine, on découvre l'arme pointée et son système de visée sonore fixé par-dessus.

Le système de visée sonore VIASS pour tireur déficient visuel.

NB : Pour permettre de réunir de manière autonome joueurs voyants et non-voyants autour d’une même table, un jeu standard de cartes à jouer sur-imprimées en braille avec son étui métallique de rangement est vendu par le CTEB pour 20 Euros, livraison comprise.

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