Interview de Dominique Dumond
Son livre « MONTY » sur l’insaisissable relation avec un chien-guide
« La vie vaut mieux que la vue. Sauf si la vie n’est que du déjà-vu. Dans ce cas, seule la vue peut redonner vie à la vie. » Cette phrase de Dominique Dumond résume bien son livre et surement l’homme qui vient à vous à travers lui. On devine de l’humour, le sens des responsabilités, « un poil » d’anticonformisme, un amour de l’autre … C’est ce que « Monty », le chien-guide de Dominique Dumond tout comme son livre éponyme dégagent aussi. C’est l’histoire d’un animal qui va entrer dans la vie d’une homme qui perd la vue. Celle d’un compagnon qui s’installe et réenchante le quotidien. Puis celle d’un ami intime qui va inspirer. Et enfin celle d’une présence puissante qui va révéler. Un roman et une interview de Dominique Dumond par le CTEB pour vous dévoiler (un peu) des relations subtiles et possibles entre l’homme et l’animal. Partons dans les coulisses de celle-ci avec, justement, l’expérience d’un ancien directeur artistique de théâtre devenu auteur …
Bonjour Dominique !
1. Maintenant que vous l’avez fait… être écrivain et déficient visuel, c’était comment ?
Qui n’a pas un jour rêvé d’écrire un livre pour finir, après avoir noirci quelques pages, par renoncer devant l’ampleur de la tâche. Pour nous, les déficients visuels, le défi est encore plus grand. Si j’osais, je dirais que c’est une course à handicap. En effet, qui dit écriture dit relecture, ratures, corrections, inversions de paragraphes, toutes opérations que nous ne pouvons pas faire visuellement et qui donc nous compliquent la tâche. Pour ma part, à force de formation je domine assez bien le clavier, word et la synthèse vocale Jaws. Cependant, pour mieux me retrouver dans un document très long, plus de 150 pages, je me suis inventé quelques astuces techniques que voici :
J’ai écrit des chapitres courts qui avait chacun leur propre cohérence. Je les ai tous nommés de façon à reconnaître facilement leur contenu.
Parvenu à un certain degré d’achèvement, j’ai demandé à une amie de tout me relire. J’avais besoin d’une voix humaine pour entendre si les phrases avaient un peu de souffle, un peu de rythme, ce que je ne ressentais plus avec la synthèse vocale. J’ai également demandé à une autre amie de revoir mes fautes d’orthographe et la mise en page. Mais, mon grand bonheur est d’avoir pu, seul, mener au bout l’écriture. Cerise sur le gâteau, j’ai trouvé un éditeur!
2. Une maladie à la naissance, une perte de la vision inexorable et progressive. Votre conseil aux autres pour affronter cette transition ?
Je suis venu au monde avec pour cadeau de naissance une rétinopathie pigmentaire. Petit, j’avais une acuité de 3 et 2. Cela me permettait de me déplacer sans problème et de pouvoir avec des verres loupes, lire et écrire, mes deux passions. Lorsqu’à l’âge de 21 ans ma maladie s’est brusquement aggravée, j’ai perdu en quelques mois l’usage de la lecture et mes déplacements sont devenus difficiles. J’ai vraiment accusé le coup, je pense que sans le savoir j’ai fait une vraie dépression. Car, à l’époque( il y a 40 ans), on ne consultait pas de psychologue, c’était en quelque sorte réservé aux fous ! Or, si j’ai un conseil à donner, c’est bien d’aller consulter et de se faire aider par un psy. Je l’ai fait plus tard et cela m’a été d’un grand secours.
3. Sortir du pathos et de la victimisation alors que nos limitations se resserrent, comment y arriver ? Vous étiez déjà d’un caractère optimiste ou cela peut se travailler ?
Je ne pense pas être un vrai optimiste, mais j’ai la chance d’adorer la vie et de pouvoir me ressourcer facilement dans la nature. Je crois que pour nous une partie du secret du bonheur réside dans l’acceptation de notre déficience. En ce sens, j’aime à citer cette petite parabole :
-Un sage répondant à une question d’un de ses disciples dit : « la vie est comme un jeu de cartes. Elle en met quelques-unes dans ta main. Quel sera ton choix ? Te lamenter sans cesse parce que tu ne les trouves pas assez bonnes ou apprendre à les aimer et jouer avec ? »
4. Un chien-guide c’est un chien spécial ? À quoi faut-il faire attention pour lui ?
À mon avis, le chien guide, s’il est bien un chien d’élite, reste malgré tout un chien normal. Dès que nous lui ôtons son harnais, c’est à dire son uniforme de travail, il redevient un simple compagnon à quatre pattes, plein de joie et d’entrain, toujours demandeur de jeux et de câlins. Évidemment vu ce qu’ils sont pour nous, nous leurs apportons tous les meilleurs soins et conditions de vie possibles. Nous y tenons comme à la prunelle de nos yeux !
5. Sans spolier la fin du livre, comment expliquer-vous l’indéfectible amour et dévouement de ces chiens-guides ?
Le constat est effectivement que nos chiens, comme d’autres animaux, sont très intelligents, capables d’analyser des situations complexes et de tout faire pour nous aider à en sortir. Ils sont sensibles, émotifs, compassionnels, emplis d’amour et d’une indéfectible fidélité. Comment l’expliquer ? Sur ce point, j’en reviens à l’éternelle question : les animaux ont-ils une âme et pour moi la réponse est indubitablement oui.
6. Canne blanche ou chien-guide ou les deux ?
Je ne pense pas qu’il y ait opposition entre canne et chien, mais il y a une grande différence. La canne signale l’obstacle. À nous de l’identifier et de le contourner. Avec le chien, plus d’obstacles. Il les évite pour nous et quand il marque, c’est toujours très clair : une rue, un escalier, etc. De plus on peut demander à son chien une destination connue par lui et laisser faire. Le mien en connait beaucoup. Pour moi, le chien redonne fluidité, liberté et autonomie.
D’un point de vue psychologique, la canne nous signale comme handicapé avec tout ce qui s’en suit dans le regard de l’autre, gêne, pitié … C’est principalement pour cette raison que j’ai toujours détesté la canne et repoussé le plus possible son usage, la remplaçant même parfois par un très long parapluie.
Avec le chien rien de tout cela. Les passants ne voient que lui, son travail, la beauté de notre relation et oublient tout le reste. Enfin, avec lui, on n’est plus jamais seul, et même quand on rame, on est à deux…
7. Des moments de connexion quasi télépathique se sont installés entre vous et Monty. Vous dites entendre ce que votre chien pense. Avez-vous trouvé d’autres témoignages comme le vôtre ? Dites-nous en plus…
La première fois que j’ai ressenti ce phénomène, j’ai cru rêver. Puis il s’est renouvelé et j’ai pu observer qu’il ne pouvait se produire que dans des moments où mon esprit était libre de toutes pensées stressantes ou pressantes liées au travail ou au quotidien.
Au début, je n’osais pas en parler. Je craignais que l’on ne me croie pas où que l’on me prenne pour un gentil allumé. Et puis au hasard de discussions avec d’autres maîtres-chiens guides, Je me suis rendu compte que nous étions plusieurs à partager cette extraordinaire expérience de communication directe avec nos chiens. Cela m’a évidemment conforté dans mon ressenti.
8. Le chien est un animal fantastique. Même maltraité et battu par son maître, il ne l’attaque pas en retour bien qu’il soit mieux armé que nous pour la violence. Ils semblent faire le choix d’être là pour nous aider et nous aimer… Qu’en pensez-vous ?
Je suis évidemment d’accord avec l’énoncé de cette question.. Sans revenir sur le mystère de cet amour inconditionnel de nos chiens, que j’ai déjà évoqué plus haut, je dirais que l’arrivée de Monty dans ma vie est l’événement le plus important pour moi depuis ces cinq dernières années. C’est ce qui m’a déterminé à écrire notre histoire, une grande histoire d’amour. Mon seul regret est de ne pas avoir pensé plus tôt à en faire la demande. Pire encore, je serai incapable de vivre sans lui tant il apporte à moi et donc à ceux qui m’entourent bonheur et liberté, il fait désormais intégralement partie de moi. Ce n’est pas un griffon mais un greffon !
9. Avec les années, qu’est-ce qui vous épate le plus chez Monty ?
Ce qui m’épate le plus chez Monty, c’est sa fantastique capacité de mémorisation. Je voyage beaucoup et pour de nombreuses destinations. A plusieurs mois d’intervalle, il est capable de retrouver l’itinéraire gare hôtel, et dans l’hôtel de me ramener à la chambre que nous occupions la fois précédente.. C’est incroyable.
10. Vous dites que Monty vous a changé le regard sur la vie. Et lui ? Comment a-t-il changé à votre contact ?
Depuis ces années, j’ai le sentiment que Monty fait tout pour s’adapter à moi. À force de stratagèmes Il a établi un certain nombre de codes corporels que je comprends fort bien. Nous avons nos rituels, notre langage, notre grammaire que je détaille dans le livre. On dit qu’aux chiens il ne manque que la parole. Je réponds, ils l’ont, il suffit de les écouter.
Très heureux que notre livre soit accessible aux personnes malvoyantes et non-voyantes. Bravo et merci au CTEB pour ce travail de transmission que vous faîtes !
Un chaleureux merci Dominique pour ce livre-témoignage et votre participation à cet interview.
Denis Guérin.
En savoir plus / ressources :
- Le livre en braille ici :
https://www.cteb.fr/librairie/nouveautes/monty/
- Vidéo de Dominique Dumont interviewé sur France Info à propos de son livre ici :
- Comment un chien devient un chien-guide d’aveugle ?
https://www.chiensguides.org/fr/formation-du-chien-guide-46.html
- Article témoignage d’une famille d’accueil de chiens-guides :
Famille d’accueil de chien d’aveugle – Chiensguides.fr