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Moitié gauche: un rond blanc sur une texture bleue. Moitié droite: l’affiche du film. Le rugbyman rentre de face sur le terrain en tenant 2 enfants par les mains

Interview de Sébastien Joachim

« Une cécité à pas de loup », un homme en transition

L’épée de Damoclès.

Il a 44 ans, il est beau, métis, grand, musclé, il a le crâne rasé et fait de la boxe thaïlandaise. Photogénique, joliment sensible, un air à la Marlon Brando avec des yeux clairs et le regard tendre. Des yeux pourtant malades depuis sa naissance et qui perdent chaque jour un peu plus de leur fonction. Mais Sébastien Joachim n’a pas perdu l’envie de regarder pour autant. Il regarde en soi et à la recherche de sa vraie différence, celle intérieure qui rayonne au-delà de celle du handicap et des apparences. Pour comprendre son chemin jusque-là, il a écrit le tome 1 d’une œuvre-témoignage. Son livre « Une cécité à pas de loup » retrace avec une grande sincérité l’évolution de son handicap visuel et les péripéties d’un homme en « transition ».

« La transition », c’est cette phase de vie où la maladie conduit inexorablement et lentement le mal-voyant vers une cécité future. Une période parfois longue de plusieurs dizaines d’années où le malade et son entourage éprouvent chaque jour de nouvelles limitations physiques, des adaptations forcées face aux repères qui changent… L’angoisse d’un temps qui semble ne servir qu’à séparer, qu’à priver, qu’à diminuer.

Attendre l’issue d’un cancer irrémédiable, attendre la greffe d’un organe vital, s’invalider progressivement par une maladie, perdre la vue avec certitude, … tous ces exemples font peur, très peur même. Des thèmes que certains ne peuvent pas aborder ni même effleurer de la pensée. Ceux qui vivent ces moments parlent souvent de tristesse, puis de peur et enfin d’une colère sourde qui monte. Que cache-t’elle, comment décoder son message et utiliser son incroyable énergie ?

Sébastien Joachim nous parle dans son livre « Une cécité à pas de loup » d’une transition en chemin, au dehors comme au-dedans. Avec une plume sensible et juste, avec une profonde honnêteté, Sébastien remonte pour nous le cours de sa vie avant qu’il ne devienne celui qu’il est aujourd’hui : un homme qui a accepté. Qui a accepté qui il est et que ses limites ne soient que celles qu’il se donne…

 

Bonjour Sébastien !

Salut Denis !

 

1. Peux-tu nous dire un mot sur la Choroïdérémie, cette maladie rare et mal connue dont tu souffres ?

Oui, bien sûr ! En ce qui concerne ma maladie, il s’agit d’une forme de rétinopathie pigmentaire très rare effectivement. Elle touche environ 0, 0001% de la population française.

Cela vient d’un gène défectueux dans le génome et concrètement, cela me mène irrémédiablement vers la cécité.

L’évolution des symptômes est très lente. La choroïde, organe nourricier de la rétine de l’œil, dégénère parce que le corps ne peut pas produire une protéine essentielle au maintien viable de la choroïde. Les cellules de la rétine ne pouvant être alimentées par cette membrane qui dépéri, meurt à son tour très lentement en commençant par les cellules perceptrices périphériques pour ensuite s’attaquer aux cellules de la vision centrale : celle responsable de la reconnaissance des visages, de la lecture ou encore de la perception des couleurs. J’ai 43 ans et la choroïdérémie m’a déjà pris l’œil gauche et la quasi-totalité de l’œil droit. Il ne me reste qu’une petite vision centrale, fragile et éphémère.

 

2. Nous interviewons au CTEB beaucoup d’auteurs. Écrire et sortir un livre c’est souvent difficile, on le sait de par nos échanges avec eux. Ce livre t’a pris des années. Quelles ont été tes difficultés d’écrivain déficient visuel ?

Oui, j’ai mis quatre ans pour écrire ce livre seul. Je ne me considère pas comme un écrivain, mais comme un auteur, car pour le moment, je n’ai publié qu’une œuvre en dehors de mes articles réguliers.

Je pense que j’ai dû faire face aux mêmes difficultés que les autres, en dehors de celles qui sont littéralement à mettre sur le compte de la déficience visuelle. Ma lecture et ma relecture sont un peu particulières, car en réalité, je ne lis pas vraiment, pas au sens propre de l’expression. J’ai lu longtemps comme n’importe qui, mais maintenant, je devine les mots en en percevant une petite partie. C’est une adaptation de mon cerveau, une adaptation réflexe dont je n’avais même pas pris conscience. Et cela me permet de compenser un peu le manque de vision. Cependant, ce « truc » stratégique mis en place par mon cerveau ne me permet pas de tout compenser. J’ai parfois beaucoup de mal à identifier les lettres qui composent les mots et lorsque je me relis, c’est extrêmement compliqué pour moi d’identifier les lettres qui se sont glissées-là, sans que je ne le veuille. Donc, vous le comprenez bien, j’ai dû me faire copieusement aider pour identifier les coquilles.

Sinon, les problèmes de vue engendrent forcément des difficultés de lenteur de lecture et d’écriture. Cela nécessite également de grandes capacités de concentration et une énorme énergie pour se focaliser et essayer de compenser le manque de vue. Tu n’imagines pas à quel point c’est épuisant et frustrant de se perdre sur une feuille parmi les lettres ordonnées. Il est impossible de se figurer, sans le vivre dans sa chair, combien de ressources cela demande de continuer à travailler avec un effort systématique et des techniques maison pour tenter de compenser. Tellement d’énergie est gaspillée dans la frustration. Et pour dire les choses comme elles sont : le quotidien est souvent comme cela aussi. Cependant, on s’y habitue et on trouve de nouvelles marques.

Pour donner une idée, pour mon travail d’écriture, j’ai grossi et épaissi mon curseur afin de le retrouver sur la feuille Word de mon écran, mais cela ne suffit plus. Alors pour le retrouver, je l’envoie volontairement dans le coin de l’écran, en haut à gauche et j’essaie de le ramener là où j’en ai besoin. Cependant, aujourd’hui m ais ma vue est si faible que ce n’est plus assez et souvent, pour moi le curseur disparaît encore. Quand c’est le cas et que je me frustre de ne pas le retrouver, j’emploie les grands moyens : J’appuie plusieurs fois sur « Entrée » pour faire descendre le texte en bloc et ça je peux le voir. Ensuite, il me suffit de récupérer le curseur pour le mettre là où j’en ai besoin afin de reprendre l’écriture.

 

3. Écrire sur soi, c’est comment ? Comment a réagi ton entourage ?

Un journaliste canadien non voyant avait insinué lors d’une interview radio, que le fait d’écrire sur moi avait quelque chose de complètement narcissique. Il finit par bien comprendre que le but de ma démarche n’était pas autocentré.

Bien sûr cela a été pour moi une forme de catharsis et a permis aussi une objectivation, une prise de distance face à mes souffrances et à mes démons. Et donc une béquille saine dans mon évolution psychologique. Écrire sur soi, ça demande beaucoup de recul pour essayer d’être juste et de me tacler moi-même lorsque je pensais cela nécessaire. Et ça l’a été, souvent…

Et en même temps, j’ai envie de dire que si cet exercice n’est pas si simple, pour moi c’était le moins compliqué. Je ne pense pas être doué pour créer dans mon imaginaire pour le retranscrire. Ce qui me va le mieux, c’est d’être entier et de coller au mieux à la réalité, que les mots et les tournures choisies sentent le vrai et traduisent le vécu, le ressenti.

En ce qui concerne les réactions de mon entourage, eh bien ma famille a réagi au départ sans vraiment croire en mes capacités. Elle faisait plus attention à ce qu’il ne fallait surtout pas dire, parce que je n’aborde pas que le sujet de la maladie.

Ma compagne m’a toujours fortement encouragé et soutenu dans ma démarche et le professeur Christian Hamel également. Car il était convaincu de l’utilité de ce témoignage pour les autres, ceux qui souffrent comme moi de handicap visuel et leur entourage.

Par la suite, ma famille s’est rangée derrière moi et m’a beaucoup aidé, notamment mon frère Sylvain et ma mère qui ont donné beaucoup de leur temps pour la relecture. Aujourd’hui, ils défendent ce livre. Je suis allé beaucoup plus loin avec ce témoignage que ce que j’avais espéré : qualification dans des concours littéraires, sélection et invitation au salon du livre de Paris, des articles de presse, mais surtout et c’est bien là le plus important, le retour des lecteurs déficients visuels et de leur entourage qui m’ont contacté ensuite pour me dire à quel point ces pages leur avaient apporté.

 

4. Avec le recul qu’impose d’écrire le récit d’une partie de sa vie, quelles ont été les grandes étapes psychologiques de ta perte progressive de la vue ?

Cela a d’abord été le choc, le trauma. Pas celui de l’annonce du diagnostic, car j’étais trop petit. Mais plus tard à l’adolescence lorsque j’ai vu concrètement sur des résultats de tests comment la maladie avait déjà fait des ravages. La souffrance et le deuil répété face à la perte, la colère devant l’injustice, le stress puis le déni qui finalement n’est pas une si mauvaise méthode. Parce qu’il vous permet de continuer de vivre sans être obsédé par cette épée de Damoclès.

Puis lorsqu’autour de moi certaines choses se sont écroulées, je suis tombé dans une profonde dépression. Si profonde que je ne pouvais plus me fier à mon cerveau.

Et puis il y a eu un déclic, une forme d’assimilation qui m’a permis de construire ma propre résilience avec les outils ou les cartes qui m’ont été distribuées à la naissance.

L’étape d’après a été de faire des choses positives et constructives tirées de mon expérience et d’agir pour les autres. Cela m’a donné un but dans la vie, une sorte de mission que je me suis assigné parce qu’elle me faisait du bien. Et finalement, en dehors de mon expérience, j’essaie d’apporter mon énergie et mon soutien à ceux qui en veulent.

 

5. Est-ce que tu as reçu de la part d’autres déficients visuels du soutien pendant cette « transition » ?

Non, car je n’avais pas encore fait la démarche d’aller vers eux. Après m’être mis au clair avec moi-même et après m’être reconstruit suffisamment pour faire face seul, je suis entré en contact avec d’autres DV par le biais de la télévision et des réseaux sociaux. C’est là que j’ai réalisé que je pouvais me rendre utile aux autres.

 

6. Tu te déplaces avec une canne blanche. C’est un cap habituellement crucial et difficile pour beaucoup de déficients visuels. Comment cette décision de l’utiliser et cet apprentissage se sont passés pour toi ?

Je la refusais cette canne. Et je commençais à avoir des accidents au point que cela commençait à compromettre mon intégrité physique. Je tombais dans les escaliers à cause de ma vue. Et c’est là que ma compagne m’a poussé à aller vers cette solution et que je me suis inscrit afin de prendre des cours de locomotion. Cependant, le coup d’accélérateur est venu d’une sphère inattendue. Une sphère inconnue de moi alors. Ma cousine avait contacté Le Parisien et après un énorme article dans le journal, d’autres journalistes m’ont contacté et notamment France 2. « Toute Une Histoire » qui me demandait en quelques sortes de leur fournir des scènes de vie. Mon premier contact avec la canne blanche lors de mon introduction à la locomotion a été pour eux quelque chose d’intéressant. Et pour moi, cela a créé l’obligation de sauter le pas sans vraiment souffrir des appréhensions de la canne. J’avais alors plus peur de témoigner en direct pendant une heure sur un plateau de télé et pour une émission qui brassait des millions de téléspectateurs. Finalement, contrairement à ce qu’on pourrait penser (car on craint le regard des autres quand la canne blanche à la main nous fait passer d’une personne à l’air normal a une personne qui a l’air handicapée), m’afficher à la télévision m’a poussé et aidé à assumer très vite ce nouveau statut officiel, cette nouvelle identité de personne handicapée. Et puis les retours des téléspectateurs ont été tellement encourageant, que finalement pour moi, passer à la canne blanche s’est fait tout en douceur.

 

7. Pourquoi n’as-tu pas appris le braille ?

Pour moi le braille est une étape d’un niveau encore supérieur à celui de la canne blanche. Et je ne suis tout simplement pas prêt.

J’ai une façon de voir les choses qui me permet d’être très heureux malgré tout. Cela consiste à être reconnaissant pour ce que j’ai encore et à en profiter au maximum dans le présent, tant que je le peux.

Je ne m’appesantis plus sur mon sort depuis longtemps, ni sur le passé et ce que j’ai perdu. Cela ne sert à rien, à part remuer le couteau dans une plaie qui sinon restera béante. Je ne veux pas non plus passer mon temps à prévoir ce qui arrivera, pour essayer de passer mes moments présents à préparer la futur cécité qui arrive. Quand on fait cela, on ne vit pas dans le présent et on vit encore moins heureux.

Voici une citation de Lao-Tseu : « Si tu es dépressif, tu vis dans le passé. Si tu es anxieux, tu vis dans le futur. Si tu es en paix, tu vis dans le présent ».

Tout est dit. La clé est de vivre dans le moment présent. Du coup, vivre le présent et vivre pour célébrer ce que j’ai, ce qui m’arrive de positif, ça, pour moi, c’est la clef du bonheur et le sens de la vie. Par conséquent, la vue infime qui me reste, j’en profite au mieux ainsi que des petites choses que je peux encore faire avec. Et de toutes façons, l’évolution de la maladie m’oblige lentement à m’habituer à la situation, à la cécité qui progresse. Je n’ai pas le choix, mais je le fais à mon rythme et personne ne m’impose quoi que ce soit.

Un exemple, comme tu le disais, je suis boxeur pied-poing depuis des dizaines d’années. Depuis 3 ou 4 ans je crois, je suis passé à la boxe thaïlandaise avec des professeurs particuliers. Eh bien, je me suis aperçu que je pouvais tout à fait faire mes entraînements avec un bandeau sur les yeux et que mon corps et mon esprit savent où taper et viser juste, comment s’orienter, comment prendre ou reprendre des distances.

Si je m’entraîne dehors et que la nuit tombe, je ne m’en rends même plus compte et poursuis l’entraînement alors que je suis en cécité totale.

 

8. Rentrer dans une association d’aide aux DV, prendre une canne blanche pour la première fois, annoncer à un employeur sa déficience visuelle, demander de l’aide au quotidien, … le handicap amène logiquement et plus fréquemment à côtoyer ses propres limites, sa fierté, sa honte, son sentiment d’injustice … Selon ton expérience, comment les appréhender ?

Je crois que je mets ma fierté ailleurs. Je n’ai pas honte de demander de l’aide. Demander de l’aide ne veut pas dire qu’on n’est plus capables de rien. Si les yeux ne fonctionnent pas, tout le reste fonctionne très bien. Mes limites, je les repousse dans les domaines qui me parlent et cela suffit certainement à regonfler mon estime de moi-même. Je continue à me lancer des défis et le fait d’obtenir quelques succès me convainc définitivement que je ne suis pas bon à jeter à la poubelle. Et puis j’ai une femme qui m’aime, je veux qu’elle reste fière de moi. Je l’aime tellement…

Pour ce qui est d’accepter de l’aide des autres, je me demande aussi si ce n’est pas justement l’occasion de mettre son ego de côté et d’apprendre un peu les vertus de l’humilité. Au final, on a tous un jour besoin des autres. On reçoit tous des autres et on apprend des plus grands, des plus expérimentés, comme des plus jeunes et des plus innocents.

 

9. Je fais de la boxe anglaise et toi Sébastien, de la boxe thaïlandaise. Des personnes m’ont déjà demandé comment faire de ces sports de combat des sports adaptés au handicap visuel. J’ai trouvé l’idée risquée mais du coup novatrice et intéressante. Tout est toujours possible. Est-ce que la boxe peut devenir un handisport si l’on ne voit pas selon toi ? Comment arrives-tu à la pratiquer ?

J’ai fait de la boxe quasiment toute ma vie et au fur et à mesure de la perte de la vue, j’ai dû adapter et trouver des trucs. À l’époque où je faisais encore du sparring (combats à l’entrainement), je me servais de ma jambe avant en front kick (coup de pied avant frontal), un peu comme d’une canne blanche, pour gérer l’assaut et la distance, gérer l’opposant, répliquer ou attaquer en ayant toujours un temps d’avance. Cela me permettait de compenser mon manque de vue.

Aujourd’hui, mes yeux sont trop fragiles. Je ne peux plus recevoir de coup au visage. Ailleurs oui et ça pique toujours autant, mais pas au visage. J’évite ce risque par le biais d’un professeur particulier qui se focalise sur mon apprentissage et cela me permet de préserver le peu de vue qui me reste.

Oui, je crois que cela pourrait être un handisport. Si les athlètes sont munis de grelots par exemple, permettant à l’adversaire de se repérer dans l’espace. Des délimitations sonores avec des capteurs sur les cordes du ring pourraient être imaginées. Et puis le reste, c’est la magie des sportifs et de leur expérience. Et si les spectateurs ont du mal à voir des personnes déficientes visuelles se taper dessus ; qu’à cela ne tienne, on pourrait essayer de limiter les coups en-dessous du visage ? Même si les athlètes auraient du mal à garantir que certains coups ne passeront pas au-dessus du menton…

Pour ce qui est des questions évidentes du type « comment viser quand on boxe sans voir ?», et bien le corps apprend et se repère dans l’espace. Viser devient un automatisme et l’adaptation dans le mouvement aussi. Bien sûr, il m’arrive de mettre à côté de la cible. Mais si le prof m’oriente avec sa voie, je boxe presque comme n’importe qui, à tel point que mes entraîneurs finissent souvent par oublier mon handicap.

 

10. Ton livre, ton investissement dans un sport de combat, tes anecdotes de vie pointent souvent la colère. Elle sert à quoi cette colère finalement ? As-tu pu lui trouver un sens, une utilité ?

Ma colère est une amie dangereuse et je me rends compte aujourd’hui que je croyais la gérer suffisamment. Je dis que c’est une amie et presque une compagne de galère, car c’est elle qui me permet de survivre à mes pires démons, mes plus gros obstacles et à retourner à l’assaut. C’est elle qui me permet de me relever et de ne pas avoir peur des plus gros défis qui me tombent dessus. Maîtrisée en partie, c’est son énergie qui me nourrit et me donne la force de construire. Toutefois, il me suffit d’être psychologiquement épuisé et je perds le contrôle.

Cela me fait peur et me culpabilise à l’avance, car je me dis : « Et si un jour, je n’étais pas capable de me contrôler dans un moment où complètement malmené par le manque de sommeil, la colère et la frustration, je revêtais des réactions instinctives et complètement animales ? ». Parfois, j’ai peur de ce que je pourrais faire.

Oui, j’ai donné du sens à ce sentiment et oui, cette colère, je l’utilise à mon profit comme une énorme ressource d’énergie qui m’accompagne pour bâtir et avancer. Finalement, cette colère est un allié fidèle, mais un allié dont je me déjoue dans les moments d’épuisement psychologique. Je l’ai laissée libre de m’envahir et je dépense cette émotion dans le sport que je pratique tous les jours. Mais est ce suffisant ? Je crois que non !

 

11. Tu es maintenant devenu coach en développement personnel pour aider les personnes à mieux vivre la cécité, le handicap et les difficultés de la vie en tous genres. Je te retourne une question qui se situe au début de ton livre et qui vaut pour chacun d’entre nous : « comment être accepté tel que l’on est et pouvoir exercer ses talents comme tout un chacun ? »

C’est une question vraiment difficile et je n’ai vraiment pas de réponse à cette question.

Cependant, je constate que notre société française a vraiment besoin d’évoluer. Au cours de ma vie j’ai voyagé et je continue d’observer le retard françcais en ce qui concerne l’acceptation de la différence. On vient tout juste de voir avancer la problématique de la déconjugalisation.

Pourtant, comme je l’ai entendu dire à juste titre il y a quelques jours encore, notre société n’est pas faite de personnes identiques, fabriquées dans le même moule. Chaque personne est singulière, chaque personne est différente. L’acceptation de la différence devrait être un fait lié à notre nature d’hommes et de femmes. Alors pourquoi devons nous recréer de l’inclusion ? Doit-on vraiment tout mettre sur le dos de la norme, de la règle pour tous ? impossible. Les pays qui ont une longue marge d’avance sur nous sont normatifs et réglementés, eux aussi. Et pourtant, nous pourrions largement prendre exemples sur leurs modèles. Ne soyons pas trop fiers. Il n’y a pas de quoi…

Est-ce que ce serait à nous personnes handicapées de nous faire accepter ? Certains le pensent. Je dirais qu’en l’état des choses, nous n’avons pas le choix. Donc oui, mais pas seulement, les efforts devraient être mutualisés.

Et quant à pouvoir exercer ses talents, je crois que pour le moment, nous sommes toujours catégorisés par beaucoup et étiquetés comme « pas capables ». Je me suis encore vu refuser de contribuer et d’aider à déménager du matériel par une gentille petite dame qui faisait trois têtes de moins que moi et qui avait probablement 20 ans de plus, sous prétexte que les choses à porter étaient trop lourdes pour moi. Précisons que tout le monde, elle incluse, mettait la main à la pâte. Amusant non ? Le fait que je sois déficient visuel, amène cette petite dame de 60 ans et beaucoup d’autres à penser que les autres handicapés visuels et moi ne pouvons pas en faire au moins autant qu’elle physiquement. Les raccourcis que certains font mènent encore top souvent à ce genre d’infantilisation et à une sous-estimation de nos capacités physiques, intellectuelle, décisionnelles. Cela m’a déplu, bien sûr, alors j’ai fait du forcing et j’ai participé avec les autres.

Pour nos talents, nos capacités, c’est pareil. Ils sont encore trop souvent et presque implicitement déniés. Par conséquent, on est un peu obligés de gâcher beaucoup plus d’énergie que la moyenne pour être appréciés dans notre entièreté, se faire une place et tenter de contourner les obstacles de la catégorisation et des stéréotypes.

 

12. Si tu pouvais faire gagner du temps aux autres déficients visuels en transition, quel conseil donnerais-tu ? Sur quoi se concentrer à tout prix ? 

Je ne suis pas une bonne fée, mais j’essaie d’aider avec mon expérience et ce qu’elle m’a enseigné. Je fais beaucoup de bénévolat depuis 7 ans, voire quasi exclusivement du bénévolat. Et depuis peu, j’essaie aussi de me construire professionnellement. Ce qui n’est vraiment pas simple.

Je dirais, que pour leur faire gagner du temps dans leur évolution personnelle, il est important de se dire qu’on n’est pas un cas unique et exceptionnel et que beaucoup de personnes passent par ce à quoi nous sommes confrontés. Ceci pour relativiser et ne pas rester replié sur soi à se regarder le nombril et à se lamenter du mauvais sort. Il faut se dire aussi que certains (comme moi et beaucoup d’autres) sont capables de vivre complètement heureux et épanouis. Alors si c’est possible pour eux, pourquoi pas chaque personne handicapée visuelle ?

Il faut se dire aussi, que si au fond de soi on pense que tout est perdu d’avance et que rien ne sert de lutter, la vie ressemblera à cette projection. Cela mène à s’enfermer dans un monde d’aigreur, d’agressivité, de perte de confiance compensée par de l’arrogance ou une complète perte de repères et parfois de la méchanceté.

Je dirais ensuite comme je l’ai dit plus haut et cela est essentiel : il est primordial de se délester du poids du passé, de qui vous étiez, de l’image que vous aviez de vous-même et de la fierté qui y était vissée. Mieux vaut se débarrasser des fantômes de notre vue et chérir les images-souvenirs que nous avons encore. Mieux vaut se délester des volontés de deviner le futur pour mieux le contrôler. Ce qui arrivera, arrivera. Et il y a tant de choses, tant d’aléas sur lesquels on n’a pas la main mise. Alors agissons maintenant, vivons le présent et soyons heureux, en paix et reconnaissant de tout ce que nous avons encore, de tout ce que nous pouvons toujours faire. Adaptons-nous au mieux et fonçons, car finalement on a tous des limites. Et se déclarer vaincu avant même d’avoir essayé est surement la plus grande d’entre elles.

Donc agir, agir dans le présent à travers ce qu’on aime, ce qui nous passionne, s’investir dans des projets qui nous plaisent, nous font grandir, se fixer des objectifs qui nous font vibrer et vivre, cela permet de s’accomplir d’une façon plaisante. Beaucoup y parviennent.

 

Merci Sébastien pour ton partage d’expérience et ta gentillesse.

Denis Guérin.

 

En savoir plus / ressources :

 

  • Replay de l’émission « toute une histoire » (60 minutes) où Sébastien Joachim est interviewé sur France 2 par Sophie Davant ici : https://youtu.be/YQJmK_2TYT0

 

  • Sébastien Joachim est Président de l’association SJKB. Née en avril 2015, SJKB est une association Loi 1901 à but non lucratif dont la volonté est d’apporter de la force à toutes les personnes touchées par le handicap visuel, de faire évoluer les mentalités et de soutenir la recherche et la mise en place d’essais thérapeutiques. Finalement, le combat est toujours le même. A travers son site internet https://sjkb.jimdofree.com/, l’association souhaite également diffuser des informations utiles aux personnes malvoyantes ou aveugles, notamment des informations sur les innovations et les dernières avancées de la recherche.

 

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